Publication d’un rapport sur les nouvelles tendances sectaires

À la fin du mois de février 2021, un rapport commandé par Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté a été rendu public. Ce document a été réalisé par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes),en collaboration avec l’inspection générale de la police nationale et l’inspection générale de la gendarmerie nationale. Amplement relayé par les médias, ce rapport a permis d’attirer l’attention sur les tendances sectaires actuelles, leurs dangers et aussi leur développement accéléré par la crise sanitaire.

La Miviludes a reçu 3 008 signalement en 2020 contre 2 800 en 2019. Une vingtaine de procédures judiciaires ont été engagées contre des personnes qui ont profité de la crise pour mettre sous emprise des personnes selon les propos de la ministre. Elle rappelle que les mouvements sectaires ont évolué et ne sont plus des gros groupes connus mais de petits groupes difficilement identifiables. La ministre avance le nombre de 500 petits groupes où se trouveraient 140 000 personnes dont 90 000 enfants et adolescents. Ces chiffres sont peut-être un peu en-dessous de la réalité car l’appartenance à une mouvance ou groupe sectaire est une notion difficilement quantifiable. De son côté la référente nationale chargée du sujet sectaire pour la gendarmerie constate une augmentation de 58% des procédures liées à des dérives sectaires ce qui donne environ 200 procédures. Parmi elles, 60% sont en lien avec la santé.

Car parmi les mouvements qui inquiètent les pouvoirs publics les groupes qui touchent à la santé et au bien-être (40%) sont toujours quasi majoritaires notamment ceux proposant des stages de jeûnes extrêmes ou du crudivorisme. Certains charlatans proposent des soins individualisés pour des personnes en situation de vulnérabilité moyennant d’importantes sommes financières. Pour Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale de défense des victimes de sectes (Unadfi), cela s’explique par la diffusion de la doctrine New Age qui stipule qu’il faut se préparer individuellement pour changer l’humanité, créant alors une recherche du bien-être et du culte de soi. Un exemple probant de ces charlatans de la santé est sans doute Thierry Casasnovas. Sa chaine YouTube dangereuse par ses conseils santé et nutrition (notamment sur le crudivorisme) est aussi un moyen de diffuser une pensée complotiste à ses plus de 500 000 abonnés. La Miviludes rappelle qu’une enquête a été ouverte contre lui pour mise en danger de la vie d’ autrui.

Le cas de Thierry Casasnovas est aussi symptomatique d’un autre développement des gourous aujourd’hui. Ils sont devenus des experts du marketing numérique et des réseaux sociaux. Bien souvent ils collaborent avec d’autres gourous, se connaissent et organisent des webinaires ensemble. On l’a notamment vu durant la pandémie où certains se sont réunis pour dénoncer le confinement et répandre toutes sortes de théories complotistes sur le virus ou la vaccination. Cela montre aussi qu’Internet est devenu un réseau de recrutement et de prosélytisme important où l’emprise mentale peut s’exercer même à distance.

25% des signalements reçus à la Miviludes concernent les mouvements religieux. Le plus souvent apocalyptiques, ces mouvements ont connu un regain d’activité durant la crise liée au Covid-19. Ils peuvent voir dans la pandémie une confirmation de leurs propos sur la fin du monde imminente. Certains groupes comme les Témoins de Jéhovah en ont profité pour modifier leur mode de prosélytisme en envoyant courriers et courriels. Certaines églises évangéliques inquiètent aussi la mission. Le rapport cite par exemple le Centre d’accueil universel (ou Église universelle du royaume de Dieu). L’un des prédicateurs a affirmé que le Covid-19 n’affectait que « ceux qui ne croyaient pas en Dieu » et a incité ses adeptes à « ne pas respecter les restrictions sanitaires ». Ces églises prônent parfois des valeurs en contradiction avec celles de la République.

Concernant le complotisme, le rapport précise qu’il ne peut être considéré comme une dérive sectaire dans son acception juridique mais que certains groupes peuvent répondre aux critères de dérives et de nocivité notamment QAnon. Ce groupe d’origine américaine est apparu en France il y a deux ans. La Miviludes a déjà reçu une dizaine de signalements sur ce groupe en 2021 constatant une emprise et un endoctrinement.

La porte-parole de l’Unadfi rappelle que « si ces phénomènes d’emprise et de radicalisation amènent la personne à rompre avec elle-même, la société et son entourage alors, selon nous, c’est une situation sectaire ». Ces cas de rupture suite à l’adhésion à des théories complotistes sont de plus en plus nombreux à être signalés à nos associations.

La note revient également sur la mort, dans le Morbihan, d’Ulysse Tâm Hà Duong, à l’âge de 25 ans, intoxiqué par une plante lors d’un stage proposé par les adeptes du survivalisme. Le rapport constate que la survivologie se caractérise par la recherche d’une autonomie personnelle et familiale. Des groupes survivalistes se retrouvent sur internet et se donnent des conseils mais des stages sont aussi organisés.

Un constat ressort de ce rapport : les gourous et les différents mouvements sectaires profitent de l’angoisse et des différents questionnements liés à l’épidémie de Covid-19 pour prospérer. Certains mettent en avant des pratiques de soins non conventionnelles pour faire face aux inquiétudes d’un public vulnérable et souffrant d’isolement social. Ces propositions pseudo-médicales sont souvent en lien avec des théories complotistes. Autre point qui attire l’attention des pouvoirs publics la montée dans ces groupes des discours de défiance à l’égard de la vaccination.

L’Unadfi partage ce constat car comme le rappelle Pascale Duval « chaque fois qu’il y a une crise et qu’une population est fragilisée, il y a une recrudescence de signalements. On le constate notamment après les catastrophes naturelles, analyse la porte-parole de l’Unadfi. L’avantage de cette crise pour les gourous est qu’elle est mondiale et qu’elle concerne tout le monde ».

La Miviludes a ainsi observé une augmentation de ses saisines par rapport à 2019 et a reçu 80 signalements en lien direct avec la crise sanitaire entre mars et juin 2020. Six dossiers ont fait l’objet de signalements de la mission auprès des parquets. Même son de cloche du côté de la gendarmerie qui travaille sur douze autres procédures dans le cadre d’enquêtes préliminaires et d’une information judiciaire.

Ces chiffres pourraient n’être qu’un début car le processus d’emprise peut être long et les conséquences de cette crise sanitaire pourraient perdurer. Si l’emprise peut affecter tout le monde quelles que soient la classe sociale et la situation géographique, policiers et gendarmes en charge du renseignement territorial constatent cependant que les départements ruraux sont particulièrement vulnérables au phénomène sectaire du fait de la désertification médicale amenant les personnes à se tourner vers des pratiques de soins non conventionnelles. L’isolement permet aussi à des personnes de créer plus facilement des communautés en marge de la société.

(Sources : Rapport « Lutte contre les dérives sectaires » ministère de l’Intérieur & 20 minutes, 24.02.2021 & BFM TV, 24.02.2021 & France Inter, 24.02.2021 & L’Obs, 24.02.2021 & Le Monde, 24.02.2021 & Le Figaro, 24.02.2021 & Ouest France,24.01.2021 & Europe 1, 25.02.2021 & France 24, 25.02.2021 & Huffington Post,, 25.02.2021 & La Croix, 25.02.2021)

Consulter le rapport : https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/Marlene-Schiappa-renforce-la-lutte-contre-les-derives-sectaires

  • Auteur : Unadfi