A l’occasion de la sortie du livre, l’Express s’est entretenu avec les auteurs, tout deux journalistes. Au cours de leur enquête, Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre ont constaté une mutation du phénomène sectaire depuis quelques années. Autrefois très fermées et regroupées autour d’un gourou, les sectes se déploient désormais sur internet. Autre évolution majeure, les phénomènes d’emprise concernent davantage le champ de la santé que celui de la spiritualité.
Les auteurs se sont plus particulièrement intéressés à Thierry Casasnovas, l’anthroposophie, les mouvements évangéliques et charismatiques catholiques. Mais ils n’ont pas oublié des mouvements anciens comme la Scientologie ou les Témoins de Jéhovah. Enfin, ils pointent les problèmes d’entrisme des groupes sectaires et s’inquiètent de l’avenir de la Miviludes qui leur semble compromis.
Pour eux Thierry Casasnovas représente l’archétype de qu’ils nomment les « gourous ubérisés ». Son influence passe principalement par Youtube où il délivre des conseils pour la santé basés sur une alimentation crue. Le plus surprenant pour les deux journalistes a été de constater la capacité de mobilisation de sa communauté pour le défendre et les difficultés pour trouver des personnes acceptant de témoigner.
Ils ont également noté que les mouvements à tendance sectaire peuvent se déployer sans l’emprise directe d’un gourou, à l’image de l’Anthroposophie dont le leader mondial est mort depuis près d’un siècle. Les auteurs reprochent au mouvement de dissimuler, derrière une apparente bienveillance, une spiritualité ésotérique qui touche tous les champs de la société et de jouer de son influence économique et politique pour se déployer ou faire taire ses opposants. Comme l’a illustré le cas de la Miviludes condamnée par le tribunal administratif pour avoir cité la médecine anthroposophique dans l’un de ses guides. Habituellement l’Etat fait toujours appel dans ce genre d’affaire, sauf dans ce cas précis.
Concernant la Scientologie, les auteurs constatent un changement de stratégie dans le recrutement devenu plus élitiste. Pour ce qui est des Témoins de Jéhovah, les deux journalistes dénoncent « le calvaire des excommuniés » : reniés par tous les membres du groupe, l’exclusion s’apparente à une « véritable mort sociale ». Même si l’organisation essaie de faire passer ce comportement pour des décisions personnelles, il s’agit en réalité d’une règle communautaire qui a été récemment sanctionnée en Belgique.
Très active, la mouvance évangélique est également évoquée dans l’ouvrage. Ce « protestantisme poussé à l’extrême » a explosé à l’échelle mondiale ces dernières années. De nombreuses dérives sectaires ont été constatées dans cette nébuleuse de structures non-centralisées et l’adhésion au Conseil national des évangéliques (CNEF) n’est en rien une garantie, selon les auteurs.
Interrogés sur la Miviludes, Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre ont noté une baisse du budget et des effectifs ces dix dernières années. Depuis son rattachement au ministère de l’Intérieur, l’organisme a perdu de son autonomie politique. Lorsqu’elle dépendait du Premier ministre, son secrétaire général pouvait contourner les préfets et communiquer directement avec la presse. Aujourd’hui, la magistrate Hanène Romdhane « est seulement cheffe de service, et non secrétaire générale ou présidente. C’est une vraie perte de statut », déplorent les auteurs.
Pour eux le modèle français de lutte contre les sectes est en train de disparaître et ils craignent la fin de la Miviludes ce qui serait dommageable au vu de l’évolution du phénomène sectaire depuis le début de la pandémie. L’explosion des courants anti-vaccination et complotistes est inquiétante et de nombreuses dérives sont à déplorer dans ces mouvances, en particulier de la part de figures telles que Thierry Casasnovas, Christian Tal Schaller ou Jean-Jacques Crèvecœur.
(Source : L’Express, 22.10.2021)
