Dans son dernier rapport, paru en juillet, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) consacre un chapitre à l’étude du « phénomène sectaire à l’heure du numérique ». Tous les outils et plateformes disponibles sur internet sont utilisés par les sectes pour recruter de nouveaux membres. Certaines vont même jusqu’à se créer en ligne et sont susceptibles d’établir leur emprise au moyen des outils numériques.
Leurs stratégies de diffusions relèvent d’un marketing digital classique qui passe par l’optimisation de leur référencement sur les moteurs de recherche, la multiplication des canaux de diffusion et la contribution d’ambassadeurs renommés pour promouvoir leur mouvement ou ses idées.
Si cette méthode de recrutement et de diffusion des idées, qui permet de toucher facilement un large public, semble plus efficace car moins coûteuse que les traditionnelles distributions de prospectus, elle ne représente pas, pour autant, une révolution dans les techniques de mise sous influence selon la spécialiste des mécanismes de la croyance Romy Sauvayre. « Les ressorts d’adhésion sont les mêmes aujourd’hui qu’il y a 30 ans, mais les mouvements sectaires s’adaptent à l’époque et aux modes de communication » explique la chercheuse.
Interrogé par la journaliste Laure Dasinières pour Numérama, Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg, juge mauvaise la communication de la plupart des gourous : « Leurs sites sont laids et peu ergonomiques, leurs vidéos sont de mauvaise qualité, leur discours est décousu, barbant, etc. ». Selon le chercheur, cet amateurisme participe à l’attrait pour leur discours, surtout si ce dernier s’oppose à celui des élites qui auraient des choses à cacher.
Mais si les gourous usent de stratégie de séduction pour attirer des adeptes, ceux qui y répondent ne sont pas passifs. Ils sont au préalable en demande de solutions ou de lien social, ce qui les rend réceptifs au discours des gourous souligne Romy Sauvayre. La nouveauté aujourd’hui c’est que la recherche de solutions et les réponses à cette demande peuvent se faire intégralement en ligne, explique Romy Sauvayre. Ensuite, bien que se déroulant à distance, les étapes de l’embrigadement sont les mêmes que dans un schéma d’adhésion sectaire « classique ».
La sociologue décrypte ce parcours : face à une personne en recherche, le gourou adapte sa réponse et offre une réponse simple. Pour endormir la méfiance de son interlocuteur il utilise un jargon scientifique, propose des conférences, met en avant ses références. L’adhésion dans le mouvement sectaire s’opère, selon la chercheuse, au moment où intervient l’expérimentation de la méthode du gourou. Si cette expérience est réussie et apporte un bien-être, même passager, l’adepte deviendra encore plus perméable aux idées du gourou. L’isolement social suivra. Essayant de partager les idées de son gourou, l’adepte se heurte souvent à l’incompréhension de ses proches. En contrepartie, ceux qui adhèrent aux mêmes croyances vont lui offrir un environnement accueillant, un « love bombing » qui le fidélisera et rendra difficile toute prise de distance sans sentiment de culpabilité vis-à-vis du groupe. « Un groupe virtuel reste un groupe », insiste la Miviludes dans son rapport.
(Source : Numérama, 11.08.2021)