Les principales associations qui œuvrent pour lutter contre les dérives sectaires et venir en aide aux victimes étaient optimistes quand elles ont pris connaissance du projet de loi qui a été étudié par le Sénat, en décembre dernier. Aujourd’hui, face à un texte vidé de sa substantifique moelle, elles sont plus qu’inquiètes.
Le projet de loi visant à mieux lutter contre les dérives sectaires se voulait une réponse à l’augmentation des signalements reçus par la Miviludes. Une réponse qui s’annonce beaucoup moins efficiente depuis les coups de scalpel donnés au texte par le Palais du Luxembourg. Sur les 7 articles proposés, il n’en reste plus que 4. L’article créant un nouveau délit de placement ou maintien en état de sujétion psychologique ou physique : supprimé. Celui instaurant une circonstance aggravante d’abus de vulnérabilité : supprimé. Enfin, celui visant à punir ceux qui se rendaient coupables de provocation à l’abandon de suivi d’un traitement médical entraînant des conséquences graves pour sa santé : supprimé aussi. Pour Catherine Katz , présidente de l’Unadfi, c’est désolant. Si elle concède que « le texte était peut-être un peu trop généraliste dans sa formulation », elle estime « qu’on aurait pu le modifier afin de restreindre son champ d’action plutôt que de supprimer des articles sans discussion possible ». A ceux qui voient dans ces retoquages, une volonté de « torpiller le gouvernement », la sénatrice LR Lauriane Josende, rapporteuse du projet, répond que « le gouvernement a voulu aller trop vite et pas assez fort. Nous avons estimé, en Commission des lois, puis en séance, que l’arsenal pénal existant permettait déjà de sanctionner les auteurs des infractions citées ». Pour elle, « ce texte était là pour des effets d’annonces, il était trop prématuré ».
Méconnaissance ou complaisance
Méconnaissance de ce qu’est l’emprise mentale ou complaisance ? Selon l’enquête réalisée par Charlie Hebdo, « il semble que lorsqu’on touche au domaine de la santé, les crispations sont inévitables ». Lauriane Josende s’en défend expliquant que « la commission a tout tenté pour trouver de nouvelles formulations, sans succès ». Et pour cause, dit de son côté Jean-Pierre Jougla, avocat et ancien vice-président de l’Unadfi : « tous les lobbies de dérives sectaires sont montés au créneau ». Lauriane Josende dément « toute pression » mais concède « avoir reçu des mails de professionnels de la santé » et que le sujet « est sensible ». Et elle n’est pas la seule. Les journalistes de Charlie Hebdo ont eu accès à des mails émanant d’un syndicat de médecins s’insurgeant du fait que « l’article 4 du projet de loi compromettrait directement la pratique de médecins disposant d’une expertise particulière comme l’acupuncture et l’homéopathie »… En parallèle de ces mails, que Charlie qualifie « d’intenpestifs », Francine Caumel, vice-présidente du CCMM, parle de « pressions insidieuses ». Elle explique avoir été troublée « d’apprendre l’existence d’une pétition initiée par le CAPLC* demandant à ce que les articles supprimés ne réapparaissent pas dans la version votée par l’Assemblée nationale »… Le Sénat aurait-il cédé à la pression ? Chacun en jugera. Entre colère et incompréhension, les principales associations concernées espèrent au moins que 2024 rimera avec prévention. « Les gens sont bien sensibilisés aux ravages de la drogue ou au harcèlement scolaire par exemple… Alors à quand une vraie campagne de prévention contre les dérives sectaires » ?
*NDLR : La Coordination des associations de particuliers pour la liberté de conscience est une organisation européenne non gouvernementale proche de la Scientologie qui vise à légitimer les sectes comme étant de simples collectifs convictionnels.
(Source : Charlie Hebdo, 15.01.2024)
Droit de réponse
« Dans l’article « Le Sénat aurait-il cédé à la pression » du 12 février 2024, l’association CAPLC, Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience est mise en cause.
Contrairement à ce qui est indiqué, CAPLC n’est pas et n’a jamais été « une organisation européenne non gouvernementale proche de la Scientologie qui vise à légitimer les sectes comme étant de simples collectifs convictionnels ». CAPLC est indépendante et laïque. Elle bénéficie d’un statut consultatif à l’ONU et défend la liberté de conscience en Europe et à l’international. Elle est reconnue comme experte dans son domaine dans le monde entier. Elle existe depuis bientôt 30 ans.
En ce qui concerne les mouvements défendus par CAPLC lorsque leurs droits fondamentaux sont menacés, l’information est aisément accessible en ligne : CAPLC a mené, ne serait-ce que ces deux dernières années, de nombreuses actions pour défendre les droits de Ouighours persécutés par le gouvernement chinois, ceux des communautés orthodoxes éthiopiennes, les droits des femmes en Arabie Saoudite, la liberté de conscience dans la Fédération de Russie, les droits des minorités du Baloutchistan au Pakistan, les droits des musulmans Ahmadiyya persécutés au Pakistan, les droits de nombreux prisonniers de conscience dans de nombreux pays, incluant des Ukrainiens menacés de déportation vers la Russie pour leurs opinions, des actions contre la peine de mort pour apostasie qui existe encore dans 13 pays, et des dizaines d’autres. Les Ouïghours, les femmes en Arabie Saoudite et autres minorités défendues par CAPLC ne sauraient être considérés comme des « sectes » que nous chercherions à légitimer. Du reste, le terme « secte » a été officiellement abandonné par les pouvoirs publics depuis plus de vingt ans, lorsque la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) a été remplacée en novembre 2002 par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Dans le cadre de son objet statutaire, CAPLC a fait part aux sénateurs et aux députés français de son opinion citoyenne sur le projet de loi sur les dérives sectaires actuellement en cours de navette parlementaire, en raison des risques que ce texte soulève pour la liberté de conscience et la liberté d’expression – risque également identifié par le Conseil d’Etat lui-même, dans son avis motivé sur le projet de loi, s’agissant de cette dernière liberté. CAPLC a aussi fourni aux parlementaires des données objectives en sa possession concernant le financement de la politique de lutte contre les dérives sectaires. CAPLC a agi de façon transparente et assumée, sans exercer aucune « pressions insidieuses ».
CAPLC dispose de près de 30 années d’expérience dans le domaine de la liberté de conscience et des menaces qui pèsent sur celle-ci. CAPLC entend, à ce titre, partager son expertise avec les parlementaires et prendre part au débat démocratique dans lequel le pluralisme des opinions doit pouvoir s’exprimer librement sans être accusé ou soupçonné de « pressions insidieuses ».