Manque de moyens pour les acteurs de l’aide aux victimes de sectes

Tandis que les mouvements sectaires prolifèrent, profitant de la crise sanitaire et des angoisses qu’elle génère, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) n’a jamais été aussi fragile et les associations d’aide aux victimes d’emprise sectaire souffrent d’un manque de soutien de l’État. Le journal Marianne s’est penché sur cette question dans un dossier de juillet 2020, « Champ libre pour les sectes ? ».

Marianne dresse un constat alarmant. Tandis que les groupes sectaires pullulent, en particulier en milieu rural déjà fragilisé par le manque d’infrastructures sociales et médicales, la Miviludes a quasiment disparu, laissant le champ libre aux gourous. Passée de la tutelle du Premier ministre à celle du ministère de l’Intérieur où elle a rejoint le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR) fin 2019, elle a vu son nombre de conseillers diminuer de moitié et a dû déménager en urgence cet été dans des locaux provisoires, laissant derrière elle 20 ans d’archives.

Pour Catherine Picard, ancienne présidente de l’Unadfi, « c’est le triomphe de croyances qui mettent la démocratie en danger ». Selon elle, c’est « juste la fin d’une époque. Celle où l’on considérait que les sectes étaient des ennemies ». Marianne rappelle que Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, présidait le 24 juin 2019 une conférence sur la méditation de pleine conscience dans les locaux du ministère de la Santé. Et que, depuis 2017, des séances de « méditation pleine conscience » sont proposées aux députés. Un député LR, dont le nom n’est pas cité dans l’article de Marianne s’insurge de « voir des élus de la nation pratiquer une forme de spiritualité active dans les salles des palais de la République ».

Et pourtant le problème n’est pas derrière nous. Selon Aline, présidente d’une association située dans le Var, « il ne se passe pas un mois sans que nous rencontrions une adolescente sous l’emprise d’un charlatan ou que des femmes soient victimes de violences au sein d’une prétendue communauté * sexuelle». Elle constate que grâce aux réseaux sociaux, les gourous thérapeutes prolifèrent et « peuvent démultiplier leur audience et leur pouvoir de nuisance ».

Le Centre contre les manipulations mentales (CCMM) acteur de l’aide aux victimes souffre, lui aussi, beaucoup de la diminution des subventions publiques. « Un crève-cœur » pour sa présidente Annie Guibert, car « les grandes sectes existent plus que jamais ». Elle s’inquiète pour les jeunes et les personnes âgées, cibles privilégiées des mouvements sectaires. Les premiers parce qu’ils sont en perte de repères, les seconds à cause de la solitude et de problèmes de santé. Annie Guibert explique que la vigilance doit être de mise dans les Ehpad et alerte sur l’infiltrations sectaires parmi le personnel soignant et l’aide à domicile.

Bien avant l’affaiblissement de la Miviludes et « la baisse des subventions aux associations », les acteurs de la lutte anti sectes ont eu à affronter de féroces adversaires. Annie Guibert se souvient ainsi du lobbying du CICNS (Centre d’Information et de Conseil des Nouvelles Spiritualités), une association qui « a essayé d’imposer une sorte d’observatoire des mouvements alternatifs à vocation spirituelle, éducative ou thérapeutique », dont le but était de remplacer la Miviludes « considérée comme un outil de propagande ». En 2013, de nombreux signataires lui ont apporté leur soutien comme Philippe Lecomte, président du conseil de surveillance de la NEF, une banque proche de l’Anthroposophie, ou le désormais célèbre Pierre Rabhi, lui aussi inspiré par l’Anthroposophie.

Si le CICNS a disparu, Olivier1, un ancien de la Miviludes, aujourd’hui retraité, estime que cet observatoire a atteint son objectif et déplore que les mouvements sectaires aient « intégré tous les cercles du pouvoir, œuvrent dans certains think tanks qui imposent leurs points de vue aux intellectuels et à certains médias ». Pessimiste il ajoute, « les sectes ont désormais le champ libre… »

L’Unadfi, autre acteur de l’aide aux victimes dresse le même constat. L’association reconnue d’utilité publique, ne manque pas de travail et possède un atout précieux, son centre de documentation dans lequel est conservée depuis plus de quarante ans la « mémoire des dérives sectaires en France ». Ses cinq salariés assurent une veille permanente sur le phénomène sectaire et les nouvelles menaces.

Mais l’association manque de moyens. Pascale Duval, la responsable de la communication de l’association, déplore la réduction de près de 60% du budget de l’association ses dernières années. Joséphine Cesbron, élue à la tête de l’association depuis 2019, ne désarme cependant pas. Elle prône « l’union sac ée et le rapprochement avec les magistrats référents sectes dans les tribunaux de grande instance et avec la cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires (CAIMADES) ». L’objectif  de l’Unadfi explique-t-elle, « c’est de comprendre la manière de fonctionner des gourous au plus près des victimes. D’aider ces dernières, de les accompagner sans jamais les abandonner. Et d’aller jusqu’au tribunal quand les délits sont passibles du pénal. » Pascale Duval souligne la nécessité de s’allier à d’autres associations partageant les mêmes objectifs.

(Source : Marianne, 24 au 30 juillet 2020)

1. Prénom modifié

 

  • Auteur : Unadfi