Quid de l’emprise, sa définition exacte et son cadre juridique ? Avocate en droit des familles, Sophie Soubiran a accepté de décrypter ce phénomène complexe pour Madame Figaro.
La question de l’emprise suscite des débats passionnés, divisant ceux qui la considèrent comme une manipulation ou une domination de ceux qui la minimisent en appelant simplement à la passion des sentiments.
Dans le domaine juridique, à défaut d’une définition, « on dit que l’emprise se manifeste lorsque deux personnes ne sont plus sur un pied d’égalité et qu’une exerce un ascendant sur l’autre. On parle d’emprise quand une personne n’a plus de libre arbitre face à une situation ni de marge de manœuvre dans la relation » résume l’avocate Sophie Soubiran. Les preuves ? Des messages culpabilisateurs, du dénigrement ou de l’isolement. Et pour la victime, une perte de productivité au travail, des arrêts maladie fréquents, une perte de poids et de confiance en soi.
« Bien que juridiquement l’emprise ne soit pas considérée comme une violence en soi, elle peut servir de moyen pour exercer des violences psychologiques ou physiques » poursuit Sophie Soubiran. « C’est une mise en condition. Prouver l’emprise permet de mieux comprendre les contradictions apparentes pour se concentrer sur l’essentiel qui est l’agression subie ».
Prise en compte progressive
Le terme d’emprise n’est pas défini par la loi et n’est pas condamnable en tant que tel, mais il est pris en compte progressivement dans le cadre juridique. L’emprise est souvent associée à d’autres éléments, « car elle prépare un climat propice à des agressions physiques, sexuelles et psychologiques ».
En droit des familles, la justice s’intéresse à l’emprise depuis le dernier Grenelle des violences conjugales en 2019, notamment dans le cadre de la médiation familiale lors de séparations entre parents. « Les violences psychologiques sont légiférées depuis près d’une décennie et font partie des délits punis par la loi » souligne Sophie Soubiran.
Les preuves difficiles à établir
Les preuves d’emprise peuvent être recueillies par des Unités Médico-Judiciaires, qui examinent l’état psychologique des victimes, ainsi que par un regroupement de preuves ou faisceau d’indices, autrement dit des petites choses qui, mises bout à bout, vont mettre en lumière un contexte. Ces preuves peuvent inclure des témoignages de proches, des échanges écrits et des manifestations de dégradation physique et mentale chez la victime.
Mais « prouver l’emprise peut être difficile, surtout dans le cas des violences psychologiques, qui sont souvent plus destructrices à long terme » concède Sophie Soubiran. « Il est essentiel pour la victime d’être bien accompagnée par un avocat tout au long de la procédure, car constituer un dossier judiciaire peut être long, éprouvant et nécessiter beaucoup d’énergie. Normalement, c’est le travail des enquêteurs, mais ils sont souvent trop débordés pour cela ».
(Source : Madame Figaro, 22.02.2024)