Il faut parfois des décennies à des victimes d’agressions sexuelles ou d’emprise pour briser le silence. Explications avec le Pr Thierry Baudet, psychiatre auprès des enfants et adolescents à l’AP-HP.
« Un enfant victime de violences sexuelles à un âge scolaire n’est pas équipé cognitivement et affectivement pour comprendre ce qu’est une agression. La sexualité adulte lui est incompréhensible. Il vit une expérience pénible, avec des effets traumatiques, mais si vous lui demandez si quelqu’un lui a fait du mal, il peut très bien répondre non », pose d’emblée Thierry Baudet. « Il ne comprendra le pouvoir de domination de l’adulte que quand il comprendra ce qu’est la sexualité ». Le professeur rappelle par ailleurs qu’il arrive que « certains oublient les événements qu’ils ont vécus » mais « que ces événements envahissent la vie ou qu’ils soient enfouis, ils créent des troubles post-traumatiques (addictions, difficultés relationnelles, dépressions…) ».
L’emprise empêche de voir qu’on a besoin de secours
Et quand les souvenirs remontent, encore faut-il réussir à se considérer comme victime. Or, « il faut des années à une personne sous emprise pour le comprendre et l’accepter » poursuit le médecin. L’emprise empêche la personne de voir qu’elle a besoin de secours. « Le prédateur lui fait croire qu’elle est responsable de ce qui lui arrive et fait peser une menace. Les victimes craignent le chaos qui peut naître de l’accusation d’une personne en situation de pouvoir, comme un père ou une personnalité reconnue (Ton père va aller en prison, ta carrière est foutue…). Elles mettent alors en place des stratégies d’adaptation pour supporter le traumatisme », Comme la dissociation du corps et de l’esprit ou encore l’évitement. « La victime va tout faire pour ne pas y penser. Elle est freinée par la honte, la culpabilité et la peur de ne pas être crue… Ce qui entraîne au final un traumatisme supplémentaire . Et les rapports de domination, des hommes sur les femmes, des adultes sur les enfants ou d’un chef sur des disciples, ne facilitent pas la prise de parole ».
(Source : Le Télégramme, 25.02.2024)