Emprise mentale et soumission

Le psychiatre Daniel Zagury, désigné en 2019 par les juges d’instruction pour analyser la notion d’emprise mentale dans le dossier Tariq Ramadan, vient de rendre ses conclusions. Pour rappel, l’islamologue suisse est sous le coup de quatre mises en examen pour viol.

Pour Daniel Zagury, l’emprise est « un ensemble de mécanismes et de processus qui permettent à un psychisme d’exercer tout pouvoir sur un autre psychisme, à son bénéfice, et sans tenir compte du désir propre de l’autre ».

Il pense que cette notion a en partie marqué les relations que l’intellectuel musulman entretenait avec les plaignantes. « Souvent fragilisées avant la rencontre, elles ont toutes éprouvé à un moment, à des degrés divers, une forme d’admiration, d’idéalisation ou de fascination pour l’intellectuel musulman. »

Pour l’une d’elles, l’expert estime que la notion d’emprise n’est pas étrangère à cette relation. « Elle éclaire essentiellement la phase postérieure aux faits, écrit-il, rendant compte de l’ambivalence des sentiments et réactions et de la persistance du lien dans la durée. Pour la phase antérieure, il convient de considérer également l’intensité des sentiments amoureux qui l’ont amenée à consentir à une relation sexuelle. Ce à quoi elle n’a pas consenti, c’est aux actes qu’elle décrit comme un mélange d’extrême violence et d’absence de considération pour son propre désir et sa dignité. »

Pour une autre, Daniel Zagury constate qu’« elle a éprouvé après les faits un sentiment de culpabilité lié à l’idée de l’avoir déçu », puis « est entrée ultérieurement dans une phase de dépit et de ressentiment, après un déroulement de la rencontre sexuelle marquée par des actes non consentis, rapportés comme un viol et un déferlement de violences ». Pour Daniel Zagury, il existait une relation d’emprise « instaurée par Tariq Ramadan ».

Concernant une autre encore l’expert estime qu’elle « est celle dont la flambée amoureuse et érotique pour Tariq Ramadan a le plus vite cédé devant le constat d’une relation physique ressenti comme un “viol moral” et décrit comme une suite unilatérale de violences dans un climat de peur intense, lui interdisant de formuler clairement son refus par le geste ou la parole ».

Les avocats de Tariq Ramadan, tout en critiquant un travail qui « souffre clairement de rigueur scientifique », jugent cette expertise « peu concluante pour les plaignantes ». Pour eux, elle « met en exergue des phénomènes de mécanisme amoureux, des jeux érotiques entretenus, des actes de soumission volontaire et des échanges très crus ». « Ce rapport, qui se voulait une bouée de sauvetage pour les plaignantes, se révèle plutôt pour elles un boulet ».

Les avocats des plaignantes pensent le contraire. L’un d’eux y voit « un complément précieux et nécessaire des explications jusqu’ici apportées par les plaignantes », qui, estime-t-il, « ont été conditionnées ». « La contrainte est reconnue », commente un deuxième défenseur. Pour un troisième, sa cliente a « consenti à une relation sexuelle qui a tourné dans une violence telle qu’elle n’était plus en mesure de s’y opposer. L’absence de sens et la perte de repères qui a suivi ont été exacerbées par le fait qu’elle était sous emprise ».

Force est de constater que même pour un psychiatre réputé, ce type de dossier n’est pas simple à analyser notamment parce que l’emprise n’est pas définie dans le code pénal. Ces expertises faisant appel à des notions de psychologie voire de psychiatrie restent néanmoins indispensables aux juges d’instruction.

(Source : Le Monde, 20.05.2020)

  • Auteur : Unadfi