
Sudhamani Idamannel, la sainte des câlins plus connue sous le nom de Amma, s’est construit au fil des ans un véritable empire. Mais à quel prix… Elle est accusée d’abus physiques, de relations sexuelles avec des disciples et de fraude financière.
Jacques Albohair, traducteur de Amma pendant treize ans (il a occupé des postes importants au sein de Médecins sans frontières et du Comité international de la Croix-Rouge), affirme, dans un nouveau livre, que Amma l’a abusé sexuellement à plusieurs reprises. Gail Tredwell, l’assistante personnelle d’Amma durant vingt ans, a publié elle aussi un livre dans lequel elle affirme avoir été frappée, agressée verbalement et violée par le chef de l’organisation d’Amma. Brigitte Chemla, qui travaillait en cuisine, dit, pour sa part, avoir été enfermée de force dans une pièce pendant deux semaines à l’ashram lorsqu’ Amma a découvert qu’elle voulait partir.
Un business très lucratif
Tout a commencé en 1975, dans un petit village de pêcheurs du Kerala, en Inde. Une jeune femme de 21 ans, Sudhamani Idamannel, s’est dite submergée par une « félicité divine » et capable de « réaliser des miracles ». Autoproclamée « réincarnation de Krishna », elle a depuis ouvert un ashram, serré dans ses bras des millions de personnes dans le monde et rencontré des dirigeants tels que le pape. Vénérée comme une sainte, elle prétend guérir les cancers et pouvoir sortir les gens du coma. Elle a ainsi bâti un empire juteux. Amma vend des bracelets « bénis par son énergie sacrée » pour 300 dollars, des poupées d’elle-même pour 200 dollars et toute une gamme de soins de peau. Mais surtout, elle organise des collectes de fonds à l’échelle internationale, qui lui rapportent des dizaines de millions de dollars par an. Ce qui lui a permis de faire fructifier un vaste empire technologique, médical et entrepreneurial. Elle a construit un hôpital à but lucratif, de nombreuses sociétés de biotechnologie, une faculté de médecine, des centres de recherche, des académies virtuelles, des sociétés de cybersécurité, une chaîne de télévision et elle détient même des centaines de brevets. Le problème, c’est que Amma a bâti son empire sous couvert d’une organisation caritative, mais les registres montrent que l’argent n’est pas dépensé comme les donateurs pourraient le penser : sur 100 dollars reçus, seuls quatre sont destinés à des programmes sur le terrain. Le reste est déposé sur ses comptes bancaires personnels. Et contrairement à d’autres ONG, Amma refuse de publier un rapport annuel indiquant ses revenus et ses dépenses. Pendant ce temps, les résidents et le personnel de l’ashram ont du mal à survivre. « Les profits accumulés sont réalisés grâce à une main d’œuvre bénévole de plusieurs centaines de travailleurs », écrit le journaliste français Jean-Baptiste Malet.
Des plaintes en cascade
L’histoire de l’origine d’Amma est entourée de mythes et de folie. Dans ses biographies, on découvre qu’elle était une « enfant divine qui chantait des hymnes à Krishna dès l’âge de deux ans ». Elle était « rejetée par sa famille à cause de sa couleur de peau », elle n’a été scolarisée que quatre ans, « devait se lever à 3 h du matin et travailler jusqu’à 23 heures pour nettoyer la maison et le jardin », elle était « battue par ses parents ainsi que par sa tante et sa grand-mère chez qui elle était envoyée comme servante », elle « passait de longues périodes sans manger et pouvait consommer des feuilles de thé, de la bouse de vache, des morceaux de verre ou des excréments humains »… Elle « communiait avec des animaux » et « creusait de grands trous pour se cacher du monde »…
Certains membres de son personnel l’accusent d’avoir reproduit ces abus. Ils parlent d’une femme « extrêmement colérique qui distribue des coups de pied et des gifles ». En 2012, Rolling Stone a publié un article sur Amma incluant déjà des allégations d’abus. Albohair dit en avoir été témoin et lui-même victime. D’anciens adeptes parlent aussi de mensonges : « Quand elle agissait avec cruauté, elle disait que c’était pour détruire vos péchés. Si elle faisait une prédiction qui se révélait fausse, elle arguait que c’était pour tester votre foi ». La goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour Brigitte Chemla a été lorsque Amma a ordonné à tout le monde de brûler les documents financiers parce qu’elle avait eu vent d’une éventuelle inspection. Chemla s’est insurgée. De ce jour, elle dit avoir été considérée comme une traître et avoir été surveillée en permanence. Elle a fini par échapper à leur vigilance et s’est enfuie, sans un sou en poche.
Créatrice de sa propre mythologie
Ses détracteurs sont unanimes « Amma ne fait pas de miracles, elle est la créatrice de sa propre mythologie ». Elle publie d’innombrables déclarations qui la présentent comme une déesse. Sa stratégie est de favoriser la dépendance envers elle-même. Elle travaille avec diligence pour créer une dévotion spirituelle infantilisée. À de nombreuses occasions, elle a dit à ses disciples : « Je suis votre mère maintenant ». Il existe même un DVD produit par Amma intitulé « Je suis le bébé d’Amma » conçu pour les enfants et les adultes. Pour elle : « Le serviteur n’a pas d’opinion personnelle, seulement une obéissance totale à tout ce que dit le maître ». Tredwell a par ailleurs déclaré qu’Amma « encourageait la séparation d’avec les proches parce qu’avoir un attachement émotionnel à la famille était considéré comme un défaut spirituel »… Albohair affirme qu’Amma a délibérément exagéré son rôle de gourou, craignant de perdre des adeptes au profit d’autres gourous plus théâtraux. Elle lui aurait parlé de « ses dernières découvertes sur la naïveté des occidentaux et comment en tirer parti ». À plusieurs reprises, « Amma a clairement dit qu’elle n’était pas là pour les personnes sophistiquées, éduquées, sensibles, sages ou vertueuses, mais pour les masses nécessiteuses », écrit-il.
Des politiques à sa botte
Devenue l’une des plus grandes vulgarisatrices de l’hindouisme à l’ère moderne, Amma joue aussi un rôle politique. Elle s’inscrit dans la lignée des nationalistes de droite du RSS [organisation nationaliste hindoue]. De nombreux ministres d’État de l’Hindutva sont des dévots d’Amma, dont l’ancien Premier ministre Atal Behari Vajpayee. Certains n’hésitent pas à parler de mafia. « L’organisation utilise les services de pirates informatiques et ceux qui la critiquent sont régulièrement menacés. Dans un geste sans précédent, la police du Kerala a déposé plainte contre un ancien membre du mutt Amritanandamayi et cinq organisations de presse pour avoir publié des articles peu élogieux sur elle ». Sans parler de nombreux décès mystérieux à l’ashram d’Amma qui n’ont jamais fait l’objet d’une enquête.
(Source : The Guru, 18.11.2024)