Les enfants d’une secte

Alors assistante sociale d’un service de protection de l’enfance, j’ai été mandatée par un juge des enfants, pour effectuer une enquête sociale concernant trois jeunes enfants ( 5 ans, 4 ans et 1 an ½ ) vivant avec leurs parents dans une secte.

Les conditions difficiles et délicates de mon intervention, m’ont permis de prendre la mesure de leur souffrance et du danger encouru par tous ceux (jeunes enfants et adolescents) qui vivaient ou avaient vécu dans cette secte.

1 – Coupure avec l’extérieur, isolement et enfermement des enfants et des adultes. Les parents ayant été amenés à rompre avec leurs familles et leurs amis, les enfants ne connaissaient pas ou très peu leurs grands parents et leurs familles proches.

2 – Pour éviter qu’ils aient des contacts avec l’extérieur, les enfants étaient retirés de leurs écoles pour suivre les cours par correspondance du CNED[1], sous prétexte d’activités musicales développées. Lors des rares visites des inspecteurs de l’ Education Nationale, ceux ci avaient droit a une véritable mise en scène très séduisante qui ne leur permettait pas d’évaluer le bien fondé de cette scolarisation interne, et encore moins le danger encouru par ces enfants.

3 – Les manifestations affectives et les marques d’intérêt à l’égard des enfants étaient considérées comme mauvaises. Ainsi les tout petits passaient leurs vies dans leurs parcs, sans jouets : il était interdit aux parents et à quiconque de les prendre dans leurs bras, de les consoler, de les câliner ou de jouer avec eux. Si un parent dérogeait, il était dénoncé par un autre adepte et réprimandé. Ces enfants étaient affectivement carencés et peu éveillés au monde.
Les enfants devaient ainsi devenir résistants pour « vaincre les forces du mal et les manifestations du malin ».

4 –Les enfants comme les adultes devaient affronter des situations de plus en plus difficiles pour s’endurcir et être meilleurs que les autres.
L’élitisme et la mégalomanie étaient poussés à l’extrême. Les enfants devaient tous jouer d’un instrument de musique qui leur était imposé et être les premiers au conservatoire. Ils devaient travailler (devoirs et musique) sans relâche et avec acharnement jusque tard dans la nuit. Leurs résultats et leurs notes étaient comparés. Ils étaient ainsi souvent blâmés publiquement et punis.

5 –Les enfants comme les adultes, étaient tenus à une soumission et une obéissance aveugle au gourou et à son épouse. Les enfants ne relevaient plus de l’autorité de leurs parents, mais de celle du couple leader qui décidait des orientations scolaires et professionnelles : d’où une scolarité perturbée, des blocages et des découragements. Lorsque les enfants n’étaient pas «conformes », les parents se faisaient vertement réprimander devant leurs enfants et les autres adeptes : ils étaient considérés comme inaptes à élever leur enfants. Ainsi les enfants de tous âges étaient livrés sans défense, au despotisme du couple.

6 –La délation et la surveillance des uns par les autres, instauraient un climat de méfiance et d’isolement avec impossibilité de communiquer : les enfants se dénonçaient entre eux et dénonçaient leurs parents.

7 –Mauvais traitements physiques.
 

  • Les règles de vie strictes et répressives (jeûnes, sommeil réduit, travail acharné, aucun loisir, aucune sortie, aucun jeu) entraînaient une grande fatigue, voire une faiblesse physique qui fragilisaient enfants et adultes.

 

  • Les coups de ceinture étaient fréquemment donnés par les parents, même aux plus petits.

 

  • Coups de poing, gifles étaient donnés par le couple leader. obligation était faite pour tous, y compris les enfants en bas âge, d’assister au culte pendant 5/6 heures, sans bouger, parler ou faire ses besoins naturels. Si un enfant pleurait, remuait, le père ou la mère l’emmenait pour le corriger, sous l’oeil désapprobateur de l’assistance.

 

  • Coups de règle sur les doigts, bouches scotchées, suppressions de repas, mises au coin pendant des heures.

 

  • Pas le droit de courir, il fallait se comporter dignement.

 

8 –Sévices moraux.
 

 

  • Isolement parents-enfants : à partir de 5 ans, les petits étaient séparés de leurs parents occupés à d’autres tâches. Ils étaient alors pris en charge par la femme du gourou dans un autre lieu, pouvant être enfermés dans une chambre ou mis dans le noir.

 

  • Le maître mot était : « il faut briser l’enfant pour le soumettre, le rendre docile et obéissant ». En effet ces enfants étaient très sages, soumis, apeurés, tristes, éteints, repliés sur eux-mêmes, sans spontanéité. Ils ne savaient pas jouer.

 

  • L’autocritique, les confessions écrites ou publiques, suivies de punitions, entretenaient un climat de terreur. Ces tribunaux de torture morale pour adultes et enfants, avec procès d’intention, arrivaient à soumettre une adolescente, en l’humiliant sans arrêt, en la mettant en quarantaine, etc…

 

9 –La déstructuration de la personnalité ou l’impossibilité pour l’enfant de se structurer, dans un climat permanent d’angoisse et de culpabilité par peur de déplaire au couple de gourous et d’être dénoncé.
 

 

  • Changements continuels d’instruments de musique imposés.

 

  • Instabilité permanente des lieux où dormir : le soir les enfants se déplaçaient avec leur matelas et demandaient à l’épouse du gourou où ils devaient dormir.

 

  • Lorsque les enfants obtenaient de bons résultats scolaires et musicaux et qu’ils se montraient contents d’eux, ils étaient repris, humiliés et taxés d’orgueil.

 

  • Quand les petits mangeaient leur soupe avec une petite cuillère, on leur ordonnait d’en prendre une grande; si la fois suivante ils prenaient une grande cuillère, on les obligeait à en prendre une petite… Leurs repères étaient sans cesse brouillés.

 

En conclusion ces enfants étaient en danger moral et physique du fait de l’asservissement mental de leurs parents par le couple leader. Déresponsabilisés, ces parents n’avaient plus de prise sur leurs enfants ni de communication avec eux. Pris en charge par le couple de gourous, enfermés, oppressés, soumis, déstructurés et manipulés, les enfants étaient brisés dans le développement de leur personnalité. La
scolarisation interne empêchait qu’ils restent en contact avec une certaine réalité et gardent une ouverture sur le monde.

Aussi ces trois enfants ont-ils été placés par le juge des enfants chez leurs grands-parents et ils y sont toujours depuis quinze ans. Grâce à ces derniers, tous les trois font de bonnes études, et semblent autonomes et équilibrés. Ils n’ont pas revu leurs parents depuis lors, ceux-ci vivant à l’étranger où ils se sont réfugiés avec le couple
de gourous, après le placement de tous les enfants de la secte par le juge et le procès de membres de celle-ci.

Article extrait du Bulles N°82 «Les sectes et les enfants»

[1] Centre National d’Enseignement à Distance