Sectes. C’est par où la sortie ?

Mercredi 30 avril 2014, Guillaume Erner a consacré son émission Service Public sur France Inter au phénomène sectaire. Il avait invité :

Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, pour qui l’être humain a besoin, pour grandir, de faire partie d’un groupe, d’une famille,d’adhérer à certaines valeurs. Certains groupes humains fonctionnent comme une famille mais coupent leurs membres de l’extérieur ; l’adhésion se fait grâce au partage de rituels et d’actes réservés aux seuls adeptes du groupe, signant l’appartenance et faisant le lien entre les membres. Les croyances dans les sectes deviennent des convictions, que l’on est forcé de partager, que l’on ne peut remettre en question. Pour sortir de la secte, l’individu va devoir se sevrer du besoin initial. L’aide consistera à stimuler son libre arbitre.

Serge Blisko, médecin, président de la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires) rappelle comment les Enfants de Dieu arboraient un visage sympathique dans les années 1970 alors qu’il s’agit d’un mouvement éminemment dangereux.
La difficulté de sortir d’une secte s’explique en partie par la difficulté de faire entendre et comprendre un témoignage qui paraît inouï à ceux qui n’ont pas été sensibilisés au phénomène sectaire. D’où l’importance de former gendarmes, policiers ou toute autre personne censée recevoir ce genre de témoignage.
La Miviludes ne qualifie pas tel ou tel mouvement de secte. Elle se base exclusivement sur l’identification de dérives à caractère sectaire. Concernant les Témoins de Jéhovah, Serge Blisko admet que les règles internes des TJ posent des problèmes d’ordre judiciaire ou législatif. La France peut prendre des dispositions pour faire transfuser un mineur, mais il n’y a rien à faire pour les personnes majeures.

Guy Jolly, ancien Témoin de Jéhovah, apporte son témoignage. Pour lui, tout système qui prive ses adeptes de liberté de conscience ou de ses droits fondammentaux peut être qualifié de sectaire. Son entrée dans la communauté des TJ a correspondu, en ce qui le concerne, à un besoin de spiritualité, à un besoin de comprendre le sens de la vie. « Si un TJ arrive au moment où vous vous posez ces questions, ça marche ».
Guy Jolly aime à répéter que les TJ présentent une belle vitrine mais tout change dès que l’on rentre dans l’arrière boutique. Il est important de considérer que le discours interne est totalement différent du discours externe.
Vous devez une obéissance inconditionnelle. Voilà un exemple de rappel : « Vous recevrez de l’Organisation de Jéhovah des directions vitales qui ne vous paraîtront peut-être pas judicieuses du point de vue humain, mais nous devons tous être disposés à obéir à toute instruction que nous recevrons, qu’elle semble ou non du point de vue stratégique humain valable. » Guillaume Erner fait remarquer que ce que Guy Jolly explique est assez caractéristique d’une secte.
Guy Jolly explique la règle des « deux témoins majeurs » qui conduit à dissimuler un nombre de délits et de crimes commis au sein de l’organisation : si une femme se fait violer, un enfant se fait abuser, s’il n’y a pas deux témoins et si l’auteur Témoin de Jéhovah nie l’agression, l’affaire en reste là. L’organisation se soustrait de fait aux lois républicaines. Guy Jolly souligne qu’il est plus facile de sortir d’une secte lorsqu’on a conservé des liens à l’extérieur du groupe.

Amoreena Winkler(1) (en duplex de Chambéry), est née dans la secte « La Famille » ou les « Enfants de Dieu », une communauté qui plaçait l’amour au-dessus de tout. Malgré le message chrétien que véhicule la secte, des crimes et des délits sont commis et ne doivent pas transpirer. Système totalitaire, contrôle, coercition, cette communauté a toutes les caractéristiques d’un mouvement sectaire. Les enfants étaient initiés à la sexualité dès le plus jeune âge dans l’optique de pratiquer le flirty fishing. Elle dit que les enfants sont de la « chair à saucisse pour nourrir les adultes ». Enfants battus, abusés, elle se demande encore comment des mères peuvent se livrer à de tels actes avec leurs propres enfants.
Là aussi, le message interne est différent du message externe. Une véritable paranoïa est entretenue au sein du mouvement par rapport au monde extérieur. Les pensées, les gestes de l’extérieur sont contrôlés, diabolisés. À l’intérieur, le doute, le questionnement sont interdits. On devient un maillon de la chaîne et on ne peut pas en sortir. On ne sait pas non plus qu’un « autre chose » est possible.
L’écriture de Purulence lui a permis de mettre en perspective son cheminement, de prendre du recul et de comprendre.
Dans Fille de chair, Amoreena Winkler raconte comment elle a trouvé la force de sortir du groupe pour exprimer son désaccord et faire protéger ses frères et sœurs par les services sociaux. Elle a gardé un contact avec quelques anciens adeptes.

 REPORTAGE A L’UNADFI

Pour lutter contre les sectes, il faut avant tout collecter des informations. Thomas Chauvineau s’est rendu à l’Unadfi. Le journaliste est frappé par la somme de documents et d’ouvrages. Au mois de mars, 640 articles ont été relevés.
Marie Drilhon, présidente de l’ADFI Yvelines, est venue à l’UNADFI chercher de la documentation pour répondre à trois demandes. Afin de préparer leurs dossiers, les ADFI doivent se documenter. Marie Drilhon précise que ce travail de recherche est fondamental. Pour pouvoir répondre correctement et objectivement, les ADFI se doivent d’être précises.
Thomas Chauvineau s’arrête devant cinq grands cartons. Catherine Picard, présidente de l’Unadfi, lui explique qu’ils contiennent les actes des procès que l’association a eus avec la Scientologie et les Témoins de Jéhovah. Ces cinq cartons représentent 15 ans de procédures. La multiplication des procès est un moyen pour les « grosses sectes de se débarrasser des indésirables ».
Pour Catherine Picard, le danger vient également des petites structures, beaucoup plus insaisissables. Il faut comprendre le phénomène sectaire comme une réponse à des demandes légitimes. Et à ces demandes légitimes, il y a des réponses d’escrocs dans différents domaines: bien-être, bio, santé…

Guillaume Erner fait remarquer le nombre important de protestations d’auditeurs qui, selon lui, en dit peut-être long sur le pouvoir de ces mouvements !

France Inter, 30.04.2014

(1) Amoreena Winkler est l’auteure de « Purulence » et de « Fille de chair », éd. Ego comme X

Pour écouter ou réécouter l’émission : http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=890046