En France les sectes sont un vrai problème

Entretien avec Jacques Trouslard , le 28 février 2008

«En France, les sectes sont un vrai problème. Comme la drogue, comme le terrorisme, comme le sida, comme le viol, la secte est une drogue psychique, un terrorisme intellectuel, un sida social et culturel, un viol psychique qu’il convient de combattre selon les normes du Droit.»

Que pensez-vous des propos de Mme MIGNON: «En France, les sectes sont un non problème» ?

Pour avoir consacré plus de vingt cinq ans à la lutte pour la défense des victimes des sectes, sur un plan aconfessionnel et apolitique, uniquement sur le plan des Droits de l’Homme, je ne peux qu’exprimer ma consternation, mon indignation, ma révolte devant ces propos. Tout aussi scandaleuses avaient été auparavant les interventions (relatées dans la presse) du Ministre de l’Intérieur, Madame Alliot-Marie, accusant la Miviludes et son Président «d’empiéter sur la liberté de conscience et de croyance» et proposant «de décomplexer la lutte contre les dérives sectaires et d’assurer la liberté de croyance de tous».

Au contraire, j’ai toujours été témoin de l’objectivité, de la prudence et de la vigilance avec lesquelles la Miviludes, présidée par le Préfet Jean-Michel Roulet, menait la lutte contre les dérives sectaires, dans le total respect des croyances qui ne causent aucune atteinte à l’ordre public, ne dénonçant que les déviances, les dérives qui portent gravement atteinte à la liberté, à la dignité de la personne humaine, aux Droits de 1 ‘Homme.

On est en pleine confusion entre «secte» et «religion». Oui, en France, les sectes sont un vrai problème.

A votre avis, d’où provient cette confusion entre secte et religion ?

Pour une part, cette confusion provient de la non considération de l’évolution sémantique du terme secte. En effet, autrefois, les «sectes anciennes» se définissaient par leur doctrine, leurs croyances. On appelait «secte» un groupe de personnes qui professaient une même doctrine, ou bien un groupe de personnes qui faisaient dissidence pour une divergence doctrinale.

Mais depuis une trentaine d’années, s’est produit un événement sociologique: l’avènement des «nouvelles sectes» et, dans le langage courant, dans les médias, dans l’opinion publique, même parfois dans le langage juridique, ce mot a pris une connotation péjorative et a fini par désigner, pratiquement et uniquement, les sectes dangereuses, nocives, destructrices, en raison de leurs agissements et comportements. On emploie donc aujourd’hui le terme «sectes»,
non pour indiquer leurs croyances, mais pour dénoncer des groupes totalitaires, religieux ou non, qui portent gravement atteinte aux Droits de 1 ‘Homme.

Qui a intérêt à utiliser cette confusion entre religion et secte ?

D’abord les sectes elles-mêmes, qui ont rapidement compris l’intérêt de cette ambiguïté et l’utilité de se présenter comme de nouvelles religions, de nouvelles croyances, des nouveaux mouvements religieux, des Eglises. Elles donnaient ainsi une image d’honorabilité et de respectabilité. Pour se protéger contre toute accusation de sectarisme, elles
pourraient ainsi invoquer le motif de discrimination religieuse et se déclarer persécutées, victimes de l’intolérance et du mépris.

En même temps, des sociologues des religions, des juristes, des magistrats, des responsables des religions monothéistes craignirent que cette nouvelle acception du terme secte ne porte dangereusement atteinte aux libertés fondamentales: de conscience, d’association et de religion et, selon certains, ne devienne un jour «la fusée porteuse de la lutte antireligieuse».

Sans oublier la formidable pression exercée par les Etats-Unis contre la France accusée de porter atteinte à la liberté religieuse.

C’est ce courant de pensée qui a provoqué le changement de cap de la MILS en MIVILUDES, supprimant le terme secte communément admis (cf. Rapport Vivien: «Les Sectes en France», l’Observatoire Interministériel contre les Sectes», les Commissions parlementaires et leurs Rapports: « Les Sectes en France» (1995), « Les Sectes et l’argent» (1999), « Les mineurs victimes des sectes» (2006), pour lui substituer celui de « dérives sectaires».

Mais qu’entend-on exactement par le terme secte ?

Le principe fondamental de la secte c’est la manipulation mentale. La secte pratique:

Une triple manipulation mentale, en utilisant, dans un but d’encadrement, d’enfermement, une triple technique cognitive, comportementale et affective, qui provoque

Une triple destruction:

– de la personne, sur un plan soit physique, mais toujours psychologique: perte de l’esprit critique et du libre arbitre
– de la famille: rupture parents-enfants, séparation, divorces
– de la société: rupture avec la vie sociale ou ingérence, à partir d’

Une triple escroquerie: intellectuelle, morale et financière.

On accuse souvent ceux qui luttent contre les sectes de porter atteinte au principe de laïcité.

On peut, en effet, s’étonner de voir si souvent invoqué le principe constitutionnel de laïcité de la République Française dans une approche du phénomène sectaire. Citons à titre d’exemple le Rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire sur «Les sectes en France» (1995) et la Circulaire du Premier Ministre (2005) Déjà, en 1995, le Rapport de l’Enquête Parlementaire: «Les Sectes en France» affirmait que «le phénomène des sectes était un phénomène difficile à définir» que «l’absence de définition juridique des sectes en droit résulte de la conception française de la notion de
laïcité» et que « tenter de donner une définition juridique (pouvait exposer) au risque de heurter le principe de la liberté de conscience» (p.8).

Le 27 mai 2005, le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, adressait à Mesdames et Messieurs les ministres et secrétaires d’Etat, Mesdames et Messieurs les Préfets, une circulaire relative à la lutte contre les dérives sectaires.

Dans «un souci de sécurité juridique», on rappelait notamment « le souci de concilier la lutte contre les agissements de certains groupes qui exploitent la sujétion physique ou psychologique … avec le respect des libertés publiques et du principe de laïcité»

Or, le principe de laïcité concerne uniquement les églises, les religions, les cultes, et non les sectes.

La loi du 9 décembre 1905 promulgue la séparation des Eglises et de l’Etat. L’article 1er stipule que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». L’article II affirme que «la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte».

Il est donc clair que la loi de 1905 ne concerne absolument pas les sectes qui ne sont pas des religions. A la question: «y a-t-il une définition de la secte ?», il est donc faux de répondre: «puisque, en raison du principe de laïcité, il n’y a pas de définition de la religion, de même, ne peut-il y avoir une définition de la secte».

Ce n’est pas, parce que la République ne reconnaît aucun culte et garantit le libre exercice du culte, qu’elle doit ne pas reconnaître, ne pas définir et ne pas condamner les sectes intrinsèquement nocives et perverses.

Peut-on définir juridiquement le terme secte ?

Oui, on peut et l’on doit définir juridiquement le terme secte. En dénonçant et en condamnant, selon les normes du Droit, les comportements délictueux ou criminels des sectes, à condition d’en rapporter la preuve à partir de faits précis,
collectifs, répétitifs et coercitifs, on ne porte en aucune manière atteinte au principe de laïcité, à la liberté de conscience.

C’est pourquoi une définition juridique s’impose. On en trouve les éléments dans les attendus ou les considérants des Tribunaux, des Cours d’Appel, du Conseil d’Etat: La secte apparaît comme un groupe, constitué à l’origine sous la direction, l’influence, la domination d’un maître, «d’un dirigeant de droit ou de fait», communément appelé «gourou»,
qui, par « l’emploi de manoeuvres frauduleuses, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machination ou artifices, utilisation de techniques de conditionnement ou de contrainte morale, provoque chez ses adeptes une situation de faiblesse, de vulnérabilité, de dépendance et de complicité» qui leur fait perdre tout esprit critique et tout libre arbitre en ce qui concerne les méthodes et les pratiques de la secte. Bref, un groupe qui utilise des procédés répréhensibles
dans un but d’aliénation des adeptes à des fins financières ou commerciales.

Après d’âpres discussions, les Parlementaires ont voté, le 12 juin 2001, la loi About- Picard, que le Dictionnaire de Culture Juridique présente comme une définition de la secte, p.1401 :

« Une secte est un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes, par l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement pour les conduire à un acte ou une abstention qui leur sont gravement
préjudiciables».

Vouloir concilier la lutte ou la vigilance contre les sectes ou les dérives sectaires avec le respect de la laïcité consiste donc, une fois de plus, à confondre et assimiler «secte» et «religion», à baptiser religieusement les sectes.

Ne «baptisons» pas ces sectes qui nous accusent de «criminaliser» leurs croyances.

Que pensez-vous de la récente circulaire de Mme Alliot-Marie contre les dérives sectaires ?

Tout d’abord, je m’aperçois que les propos de Mme Mignon et de Mme Alliot-Marie ont provoqué l’irritation de l’opinion publique, déclenchant un véritable déluge médiatique, et ont obligé leurs auteurs à publier des démentis et des rectificatifs pour intensifier la lutte contre les dérives sectaires.

La meilleure preuve en est la circulaire que Mme le Ministre de l’Intérieur vient d’adresser aux Préfets. Je n’en ai connaissance que par la presse.

Mais il me semble qu’il faut réaffirmer en tout premier lieu, la mission irremplaçable de la Miviludes, Mission Interministérielle qui ne dépend que du Premier Ministre.

Le projet de création des groupes spécifiques selon le modèle des GIR concerne la responsabilité de la Police et de la Gendarmerie, et ne peut ni ne doit en aucun cas se substituer à la Miviludes. Doit-on comprendre que, jusque là, ces services ne répondaient pas ou insuffisamment aux sollicitations de la Miviludes qui travaille avec tous les Ministères.

Enfin, le Ministère de l’Intérieur a sous son autorité le Bureau des Cultes. C’est pourquoi, si l’on veut éviter la confusion entre «secte»et «religion» il ne faut pas créer un bureau des sectes siégeant au Ministère de l’Intérieur à côté du Bureau des Cultes.

Pour conclure, on peut donc affirmer que, «En France, les sectes sont un vrai problème». Comme la drogue, comme le terrorisme, comme le sida, comme le viol, la secte est une drogue psychique, un terrorisme intellectuel, un sida social et culturel, un viol psychique qu’il convient de combattre selon les normes du Droit.

Les victimes des sectes attendent du Gouvernement qu’il assume sa mission de protéger les personnes et les biens.

J. TROUSLARD