Les violences sexuelles dans les mouvements sectaires

La sexualité est omniprésente dans les groupes sectaires, théorisée dans la doctrine et utilisée dans le processus aliénant qu’est la relation d’emprise. Elle y est utilisée de manière intrinsèquement abusive, comme moyen visant à verrouiller la dépendance.

Des récits des victimes on retient que dans ces mouvements la sexualité prend la forme d’orgie ou d’ascèse, de pédophilie, d’inceste, d’échangisme, d’homosexualité contrainte, de sadomasochisme ou encore de viol. Les victimes sont majoritairement des femmes, mais les abus peuvent aussi concerner des hommes et des enfants.

Les victimes évoquent des expériences massivement traumatiques. Tous les récits d’anciens d’adeptes ayant vécu de telles situations racontent l’horreur, l’impuissance, l’humiliation, la souffrance et la honte de la disqualification.1

On retrouve là les sentiments dominants exprimés communément par les victimes d’inceste et de viol, et on comprend ainsi que les victimes adeptes doivent être considérées comme des victimes à part entière même si on est tenté de leur attribuer une part de consentement en raison de leur appartenance au groupe et de leur adhésion à la doctrine.

Si de façon générale le silence qui entoure encore trop souvent les violences sexuelles laissent la victime dans une solitude absolue, dans les mouvements sectaires, les adeptes victimes de ces violences sont doublement isolées : à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement. Car le groupe est un microcosme dans lequel la victime ne peut s’exprimer sans prendre le risque de passer pour un traître, et on a très vite appris à l’adepte que l’extérieur était hostile et source de dangers.

Deux éléments caractérisent et favorisent les violences sexuelles dans un contexte sectaire : l’emprise institutionnalisée par le gourou et le groupe.

L’emprise

Dans un mouvement à caractère sectaire, l’emprise est à la base de la relation entre les adeptes, le gourou et parfois le (ou les) dirigeants. L’interdépendance qui se crée et se cultive au sein du groupe relève d’un type de relation perverse où chaque partenaire n’existe qu’en fonction de son opposé. Au besoin d’aduler de l’un (l’adepte) correspond le besoin d’être adulé de l’autre (le leader), à la soumission du premier correspond la domination du second.

Les outils de l’emprise sont à la fois la personnalité du gourou, souvent charismatique, séducteur, manipulateur, et la « doctrine » qu’il propose et enseigne. Se considérant comme la référence doctrinale, possédant LA vérité, le gourou définit le bien et le mal, sanctionne ou récompense, et l’’emprise est totale quand plus rien n’échappe à ses prescriptions : apparence, nourriture, santé, liens affectifs, vie sexuelle, choix politiques, choix professionnels, rapports avec les ascendants et les descendants et enfin croyances et éthique.

Cette emprise s’exerce alors à travers la doctrine, les rites et les pratiques qu’il a institués, sans limite de lieu et de temps. Sa présence physique n’est plus nécessaire, ses adeptes étant persuadés de son pouvoir, de son omnipotence et de son omniscience.

En adulant et en surestimant le gourou, les adeptes lui donnent un pouvoir sur eux, mais ils se sentent aussi grandis par cette relation et font tout pour conserver ce lien « privilégié » qui les gratifie malgré les sacrifices exigés.

Le groupe

Un mouvement à caractère sectaire « constitue une microsociété sur les bases d’un contre modèle de la société globale. »

Combinée au charisme et à la supposée omnipotence du gourou ainsi qu’à la doctrine, la dimension groupale donne sa force à l’emprise sectaire. La rencontre d’une personne en état de vulnérabilité avec un tel mouvement lui apporte des satisfactions immédiates, des réponses à toutes les interrogations, une forme de maternage, une ligne de conduite toute tracée.

 « Le gourou parvient à faire tomber les tabous les plus solidement ancrés dans notre société et au tréfonds des individus, pratiquant au sens strict le viol des consciences avant même le viol physique ou tout autre atteinte particulièrement inconcevable : l’abandon de ses propres enfants, l’incitation à la complicité criminelle, etc… »

En déniant les différences qui structurent la société, la secte abolit les repères antérieurs de l’adepte : plus de distinction entre les individus, les sexes, les générations et les cultures, voire entre le mort et le vivant, l’humain et le non-humain, et, du même coup, entre le possible et l’impossible, le permis et l’interdit. L’anomie2 devient la règle, l’arbitraire la norme, la jouissance une obligation, la toute-puissance un devoir, le délire partagé la réalité.

La dimension collective est essentielle parce qu’elle affecte de manière directe et profonde le rapport de tout sujet à l’autre. Dans cette logique, la « doctrine sectaire » joue un rôle primordial. C’est l’arme qui permet au gourou de reconstruire à son profit, et pour sa propre jouissance, des sujets-adeptes dévalorisés, cassés, culpabilisés. C’est certainement ce qui distingue le plus le phénomène sectaire de ce que l’on nomme souvent le phénomène de groupe.

Le langage du mouvement sectaire se construit à côté du langage commun pour petit à petit ôter tout sens à celui-ci. La doctrine sectaire exprimée dans ce neo-langage vampirise en quelque sorte la capacité même des victimes à communiquer entre elles et au-delà, à penser, à juger, à discerner et au final, à exister.

Les relations entre les membres du groupe sont définies, justifiées et contrôlées par le gourou. Les valeurs et convictions personnelles du nouveau membre sont ébranlées puis peu à peu disqualifiées pour être remplacées par celles du gourou devenues celles du groupe tout entier.

Le mouvement sectaire vise donc à se substituer aux précédents groupes d’appartenance de l’adepte, à devenir sa référence exclusive. Les gourous peuvent se définir comme les « vrais parents », le « vrai père », ou la « vraie mère », les adeptes étant « frères et sœurs », atteignant ainsi en profondeur l’identité de l’adepte

Les atteintes à l’identité

Un autre élément matériel permettant de caractériser d’une manière générale les situations d’emprise tient dans le comportement d’effraction de la victime, dans lequel s’inscrit la violence sexuelle. Rien de la vie, des sentiments, de l’intimité de la victime ne doit échapper à l’auteur. Celui-ci exerce une forme de droit de regard absolu sur la vie de sa victime.

A l’intérieur du groupe, l’adepte est incité à effectuer un travail de relecture de son passé personnel l’amenant à disqualifier ce qui l’a constitué et à s’inscrire dans le futur idyllique promis par le gourou.

Selon Alain Fouquet avocat au Barreau d’Angers, « L’intention de l’auteur de l’emprise consiste dans une volonté de la part d’un sujet d’envahir un autre sujet, d’en capturer le libre arbitre, de l’aliéner pour l’avoir sous sa domination et de jouir de cette domination. On observe ainsi que même dans le cadre de l’agression sexuelle, l’intention, au-delà même du mobile, n’est finalement pas tant dans une satisfaction sexuelle qui parait dans bien des cas absente, mais dans cette volonté de la part de l’auteur d’établir un lien de toute puissance sur la victime. »3

La victime est dépossédée de ce qu’elle a de meilleur, ses atouts, ses qualités, ses réussites, l’emprise fonctionne comme une forme de spirale qui aspire véritablement l’identité du sujet. La conséquence, c’est d’abord un développement rapide et de plus en plus profond d’une dévalorisation de soi, et le développement, voulu et utilisé bien sûr, d’un sentiment de culpabilité.

Le sexe : un outil d’emprise 

En alternant restriction et permission, privation et jouissance, en codifiant les transgressions, qu’il s’agisse d’abstinence sexuelle ou de rites orgiaques, le gourou institue le sacré. Il réglemente, sous forme d’interdits ou de potlachs4, les faits et gestes de chacun.

L’auteur des violences sexuelles est le plus souvent le gourou et s’il ne l’est pas il est bien souvent, avec son conjoint ou ses lieutenants, complice et spectateur. Comme un dictateur, il profite de sa position de leader pour s’accorder de très manifestes privilèges sexuels.

Le contrôle de la sexualité des adeptes, qu’elle soit interdite ou obligée, est une atteinte à leur identité. L’abus sexuel n’est pas seulement un acte sexuel, il est aussi un acte d’appropriation, un geste par lequel l’agresseur prend le pouvoir dans le groupe et sur chaque individu.

Dans un contexte sectaire, la violence sexuelle est une manière d’asseoir son pouvoir et d’affirmer son invulnérabilité. Comme dans le harcèlement sexuel, le gourou impose progressivement la relation au sujet sous emprise. L’exhibition de sa jouissance, l’arbitraire, la folie de ses exigences, ne suscitent guère la révolte du groupe fasciné et soumis.

L’orgasme obligatoire – jusqu’à épuisement –, les changements imposés de partenaires, les pratiques fétichistes et sadomasochistes, parfois même l’obligation de l’inceste et de la pédophilie sont érigés comme normes sacrées. La jouissance pouvant être éprouvée dans de telles conditions génère une culpabilité, clé de l’aliénation sectaire.

La transgression des limites et des lois, la confusion des sexes et des générations, le mépris du féminin, le déni des fonctions paternelle et maternelle, la disqualification de l’hétérosexualité et des liens de désir construisent un monde pornographique dans lequel les sujets sont réduits au rôle d’acteurs de scénarios pervers.

Confiance et allégeance 

Être dans un groupe sectaire renvoie en permanence à la question d’appartenance.

« La confiance est un rouage important dans le processus qui mène à l’adhésion inconditionnelle, aux changements de croyances et de représentations, et à l’acquisition des normes et valeurs du mouvement même lorsqu’elles s’opposent aux canons normativement admis.

L’adhésion inconditionnelle amène ainsi à un état particulier où le mouvement, ses croyances, ses pratiques sont hégémoniques dans l’esprit de l’adepte convaincu. L’adepte devient alors imperméable au doute. Même en étant témoin de contradictions, il ne les percevra pas comme telles et elles n’auront aucun effet sur ses croyances ».5

Pour créer et renforcer l’allégeance de l’adepte, le gourou (ou son substitut) utilise :

–              La peur : peur de la sanction, de l’exclusion, de l’humiliation publique

–              La culpabilisation du doute : comment oses-tu douter ? Comment peux-tu remettre en cause ou discuter ce qu’est la doctrine ? Comment oses-tu trahir ? Comment penses-tu résister à ce qui est évident pour chacun d’entre nous ?

–              Le confort de la soumission : ordres clairs, voie tracée, obéissance infantile face à une sévérité incompréhensible.

–              La fin du doute et du choix.

L’adepte s’adapte, s’ajuste en permanence au désir du gourou, se plie à sa vision du monde.Il faut impérativement être du même avis que le maître, suivre les fluctuations des règles qu’il édicte pour ne pas risquer d’être sanctionné, voire rejeté. L’allégeance doit être inconditionnelle : si tu n’es pas de mon côté alors tu es un ennemi, tu es de l’extérieur, tu es une menace, d’où la nécessité d’ériger une barrière entre initiés et non-initiés, entre intérieur (le bon) et extérieur (le mauvais).

Le silence des « agneaux »

Dans l’emprise en général et l’emprise sectaire en particulier, la notion de secret a beaucoup d’importance, c’est une injonction insistante parfois assortie de menaces, parfois délivrée dans la séduction.

Si l’obscénité et la perversion cynique présentes dans la vie du groupe sous emprise du gourou sont évidentes pour un regard extérieur, elles sont impensables pour les adeptes que lie d’abord une communauté de déni : ni la folie, ni la perversion, ni l’emprise du gourou ne peuvent être reconnues dans et par le groupe qu’il domine et qui le soutient.

Pour l’adepte sous emprise, l’agression sexuelle ne peut être pensée comme un acte illégal puisqu’elle a une signification directement liée à la doctrine du groupe. C’est la doctrine qui fait alors office de « code de lois » régissant le groupe et c’est l’insoumission à l’agression sexuelle qui devient illégale. Les « lois » liées aux actes sexuels, et donc les justifications de ces actes, diffèrent en fonction des groupes et surtout des fantasmes des gourous.

Dans un contexte groupal de persécution, l’activité et la passivité, les places du bourreau et de la victime peuvent s’inverser à tout moment dans le jeu pervers alliant séduction et délation réciproques qui structure les relations au sein du groupe sectaire. Cette perversité croissante des relations rend les victimes mutiques.

Tous les groupes s’attachent à empêcher la formation de couples d’adeptes attirés mutuellement. L’inscription du lien dans la loi symbolique est précisément ce qui doit être détruit ou empêché pour retenir les adeptes et obtenir leur soumission. Et de fait, le désir amoureux partagé s’avère un moyen privilégié de sortie de secte : ici, bien loin de rendre aveugle, c’est l’amour qui permet d’ouvrir les yeux …

  1. Procédé psychologique consistant à déclarer une personne inapte à faire quelque chose, à penser à propos d’un sujet etc. ou à faire croire qu’elle ne peut pas le faire ou que son avis ne doit pas être pris en compte. La disqualification a pour but de détruire la confiance en soi de la personne ou de l’humilier vis-à-vis des autres.
  2. Diminution des moyens traditionnels de contrôle
  3. Extrait de l’intervention du Bâtonnier Alain Fouquet, avocat au Barreau d’Angers, lors du colloque « les leçons d’un procès » organisé sous l’égide de l’ADFI Normandie le 26 février 2014 à Caen. Maître Fouquet fut l’avocat d’une partie civile dans le cadre du procès de Françoise Dercle, la fondatrice du Parc d’Accueil
  4. Système de dons/contre-dons dans un contexte cérémoniel.
  5. Romy SAUVAYRE, Croire à l’incroyable, PUF, 2012.
  • Auteur : Unadfi