La revue de l’ENM consacre un dossier aux dérives sectaires

L’École nationale de la Magistrature (ENM) a consacré un numéro de sa revue Justice Actualités aux dérives sectaires. Nous vous en proposons un bref aperçu :

Le rôle du magistrat en matière de dérives sectaires est aussi complexe que fondamental. Il devra identifier le contexte sectaire du dossier, appréhender la notion d’emprise mentale qui le caractérise, puis tirer les conséquences juridiques de cette notion. Ce dossier a pour objectif de les y aider.

Dans une première partie, les différents aspects du phénomène sectaire sont abordés ainsi que les moyens déployés par les autorités françaises pour lutter contre ces dérives. Car il est essentiel pour le magistrat saisi d’un dossier d’être en mesure d’identifier le contexte sectaire dans lequel il intervient. Pour ce faire, Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie, fournit les outils pour caractériser l’emprise mentale. Il propose une méthodologie pour la repérer à partir d’éléments observables par tous, basée sur la cohérence, pouvant être utilisée à la fois par les enquêteurs, les experts et les magistrats.

Jean-Pierre Jougla, ancien avoué, apporte les outils pour comprendre le fonctionnement des organisations sectaires. Il remarque que « dans chaque procédure pénale, ou civile, lorsqu’une appartenance sectaire constitue le socle du conflit, c’est de l’intégrité de la société dans son entier qu’il est question ».

Samir Khalfaoui, conseiller santé à la Miviludes, donnent des clés pour se repérer dans la nébuleuse sectaire, cette multitude de groupes qui coexistent notamment dans le champ de la santé. Il renvoie vers les 41 propositions émises par la commission d’enquête du Sénat(1), espérant qu’elles soient suivies d’effet.

Enfin Nicolas Charron, lieutenant de gendarmerie, explique comment Internet joue un rôle prépondérant dans le développement de ces organisations : « Du courrier électronique aux sites ouverts à tous, en passant par les listes de diffusion plus confidentielles et les blogs, Internet ne pouvait que séduire les mouvements sectaires qui s’en sont emparés très tôt pour diffuser leurs idéologies, recruter de nouveaux adeptes ou même vendre leurs produits. »

Dans la deuxième partie, plusieurs intervenants sont venus expliquer comment la France fait figure de fer de lance dans la lutte contre les dérives sectaires. Ils ont présenté d’une part le dispositif institutionnel mis en place et d’autre part, le dispositif législatif qui, même s’il est délicat à mettre en œuvre, offre au magistrat les moyens de son action.

Ces dispositifs ont été analysés par Chantal Combeau, magistrate chargée de mission à l’ENM. Elle explique, qu’au fil des années, « la France a créé un réseau institutionnel chargé de détecter les pratiques à risques » et que les dispositifs mis en place n’ont pas « d’équivalent à l’étranger ».

Des représentants des institutions ressources ont respectivement présenté leur dispositif : Serge Blisko pour la Miviludes, Françoise Isler pour la gendarmerie (STRJD, Service Technique de Recherches Judiciaires et de Documentation) et Aurélie Martin pour la police (CAIMADES, Cellule d’Assistance et d’Intervention en Matière de Dérives Sectaires).
Les associations d’aide aux victimes peuvent également fournir un éclairage au juge. Chantal Combeau a présenté l’UNADFI, seule habilitée à se constituer partie civile, et son réseau qui couvre l’ensemble du territoire.

Le dispositif de lutte contre les dérives sectaires mis en place par la France étant sans équivalent, les critiques sont nombreuses. Certains pensent qu’il est insuffisant, d’autres, au contraire, défendent une conception plus respectueuse, selon eux, de la liberté de croyance. Les critiques les plus dommageables émanent de la Cour Européenne des droits de l’homme dont François-Xavier Roux-Demare a rappelé la jurisprudence.

Les difficultés auxquelles se heurtent les magistrats ont été évoquées dans cette deuxième partie. Barbara Freleteau s’est interrogée sur l’absence de saisine du juge des tutelles chargé pourtant de la protection des personnes vulnérables. A l’opposé, le juge aux affaires familiales est régulièrement saisi. Les dossiers de séparation dans lesquels l’une des parties est membre d’une organisation sectaire sont fréquents. Maître Joséphine Hammar a rappelé la nécessité pour le juge de s’extraire du choix parental pour ne considérer que les conséquences sur l’intérêt de l’enfant ou la vie du couple.

La question du danger encouru par les mineurs a été traitée sous l’angle des conséquences sur l’évolution de l’enfant et sous celui de la nécessité de se cantonner au terrain juridique de l’analyse des conditions de vie et d’éducation du mineur.
Jean-Marc Béraud a quant à lui étudié la jurisprudence sociale.

La particularité de la matière pénale réside dans le fait que les infractions de droit commun coexistent avec celle de l’abus de faiblesse par sujétion psychologique. Les difficultés d’application de l’article 223-15-2 ont été énumérées par Jean-Pierre Jougla à travers les décisions rendues sur ce fondement.

Maître Picotin estime quant à lui qu’il est nécessaire d’aller plus loin sur le plan législatif : préciser les règles concernant la prescription et introduire la manipulation mentale dans le code pénal.

Enfin, Gilbert Klein propose une analyse des décisions rendues par le juge administratif.

Dans une troisième et dernière partie, le sociologue Frédéric Lenoir ouvre le débat sur le positionnement de la France, la notion de « secte » et les différentes manières de traiter les dérives qu’elle peut générer.

Source : Justice Actualités, n°8, 2013

(1) Commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé (rapport paru en avril 2013, lire la synthèse en deux parties sur le site de l’UNADFI :