Les enfants victimes de la déraison

“La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains”. – Exposé des motifs de l’Ordonnance du 2 février 1945 –

Le sort des enfants mineurs reste toujours au cœur de la problématique sectaire et ceux qui attentent à leur dignité échappent encore trop souvent aux sanctions.

Car c’est bien de protection dont il s’agit lorsque ces enfants sont sous emprise sectaire, à la fois sous la coupe de leurs parents qui ont déterminé pour eux ce choix d’appartenance, mais aussi sous l’influence du gourou, régissant le groupe dont ils font partie.

Au fil de son histoire, la République s’est donnée les moyens de la protection des mineurs et de l’enfance en danger. Dès 1793, Constitution de l’an I de la République, une nouvelle Déclaration élargit la notion de droit à l’instruction, à l’assistance. La création d’un premier code civil affirme les devoirs des parents envers leurs enfants : « surveillance et protection ».

Un principe confirmé deux siècle plus tard, à l’article 18 de la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989, qui indique : « La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents». Ce texte mentionne notamment le droit à un nom, une filiation, à l’éducation, le droit à la liberté de mouvement de pensée et de religion et à la sûreté, l’interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant, le droit d’être entendu équitablement par un tribunal indépendant et impartial, le droit à la vie privée et familiale. L’enfant est désormais considéré comme une personne à part entière, un être en construction dont on reconnaît qu’il a des droits propres.

Depuis la loi du 4 juillet 1974, le mineur est considéré comme l’individu qui n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans. Au-delà de cette approche purement juridique, le mineur est un enfant ou un adolescent, qui se singularise par sa fragilité physique et psychologique ainsi que par son incapacité à subvenir seul à ses besoins élémentaires. Il reste néanmoins dépendant de sa famille et de la société en général pour se construire en tant qu’homme, adulte et citoyen. C’est là le projet républicain.

Malgré les principes constitutionnels et le cadre législatif, tant au plan international que national, force est de constater que le droit de l’enfant ne suffit pas à le protéger de l’influence néfaste, tant morale que physique, des doctrines sectaires, ni de ses prédateurs.

Quelques exemples édifiants vont illustrer la doctrine sectaire en matière d’enfant.

La gourelle du groupe Sahaja Yoga, définit et impose aux adeptes sa conception de l’enfant. «N’importe qui peut faire un enfant – même un chien peut faire un enfant…Aussi créer un enfant n’est pas une chose extraordinaire… ce que vous avez à faire c’est de constater que vous avez un enfant, vous en avez juste la charge, comme vous avez la charge de « tous » les enfants de sahaja yogis, pas seulement les vôtres… dire mes enfants ne vous aidera en rien, au contraire cela va vous enchaîner «totalement»… D’abord vous avez renoncé à votre famille, renoncé à vos enfants, renoncé à tout, vous êtes parvenu à cette extrémité, maintenant vous y retournez… Nous, ce que nous comprenons, c’est que nos relations et nos identifications doivent être complètement abandonnées. [1]»«Pour les 5 premières années, tous les parents doivent être extrêmement stricts avec les enfants(…) si l’enfant essaie de prendre des libertés avec vous et s’il est effronté et n’écoute pas, veuillez donner cet enfant à quelque autre sahaja yogi [2] ». «Donnez alors l’enfant à une autre, une autre femme s’occupe alors de l’enfant, l’enfant devient alors la propriété de tout le monde, non votre propriété [3]». «Vous devez juste accomplir votre tâche comme si vous étiez dépositaire de l’enfant, et seulement dépositaire. Mais vous ne devez pas vous attacher à lui : c’est mon travail, vous devez me le laisser. (…) Ces enfants sont les miens, pas les vôtres [4]. »

L’enfant, écartelé entre plusieurs autorités, est en recherche perpétuelle de repères structurants nécessaires à sa construction et à son devenir d’adulte. Les conditions de vie qui lui sont infligées ne lui permettent jamais de les trouver. Il n’est ni épargné psychologiquement ni physiquement. Par exemple chez des Raëliens, il est considéré comme…une larve: «Le petit être qui n’est encore qu’une « larve » d’homme doit être, dans sa petite enfance, habitué à respecter la liberté et la tranquillité des autres. Étant donné qu’il est trop petit pour comprendre et pour raisonner ? le châtiment corporel doit être appliqué avec rigueur par la personne qui élève un enfant, afin qu’il souffre lorsqu’il fait souffrir les autres, ou lorsqu’il les gêne en leur manquant de respect.»

Les abus sexuels sont courants et théorisés par le gourou qui y trouve son compte et permet ainsi, à l’ensemble du groupe sous son autorité, d’abolir toutes les frontières. Raël écrit : […] «L’éducation sexuelle est très importante […] mais elle n’apprend que le fonctionnement technique des organes et leur utilité, tandis que l’éducation sensuelle doit apprendre comment l’on peut avoir du plaisir par ses organes, en ne recherchant que le plaisir […]. Ne rien dire à ses enfants au sujet du sexe, c’est mal, leur expliquer à quoi ça sert c’est mieux mais ce n’est pas encore suffisant : il faut leur expliquer comment ils peuvent s’en servir pour en retirer du plaisir.» […] «Tu apprendras à tes enfants à aimer leur corps comme on doit aimer chaque partie de la création des Elohim, car en aimant leur création c’est également eux que l’on aime. Chacun de nos organes a été créé par nos pères les Elohim pour que nous nous en servions sans avoir la moindre honte mais en étant heureux de faire fonctionner ce qui a été fait pour fonctionner.»

D’autres mouvements pratiquent des brimades et des privations de soins, de vaccinations. D’autres encore font subir aux enfants, souvent aux bébés, des régimes alimentaires nuisant gravement à leur développement. Dans les cas extrêmes, ils finissent par en mourir. Ce fut le cas du jeune Kerywan, mort de faim et d’absence de soins à 16 mois, son poids était au moment de son décès équivalent à celui d’un nourrisson de 4 mois. Ses parents, kinésiologues, ont été condamnés par la Cour d’Assises de Quimper le 3 juin 2005.

Certains consacrent des enfants, considérés comme des « élus », des divinités soi disant dotées de pouvoirs surnaturels et exploitées de ce fait encore plus durement par le gourou et le groupe. L’enfant est l’avenir de la secte, son investissement pour l’avenir, et paradoxalement, elle le maltraite et lui nuit gravement. De fait il est quantité négligeable et interchangeable.

Chez les Témoins de Jéhovah la peur est entretenue constamment, sur fond d’apocalypse. Le monde habituel est mauvais, peuplé d’êtres inférieurs qui ne connaissent pas la vérité et qui ne cherchent qu’à nuire aux vrais croyants : « Noël, c’est avec Satan. Toi, tu es avec Satan, et moi je suis avec Jéhovah », a dit un petit garçon de cinq ans à son père [5]. Le monde coure à sa fin, et seule une poignée d’élus sera sauvée. La famille non jéhoviste, les copains de classe sont condamnés à une mort terrifiante et imminente. Si jamais les enfants, ou les adolescents, tentent une incursion «dans le monde», celui-ci apparaît radicalement étrange. Le conformisme s’impose. Les enfants qui rasent les murs, ne participent pas aux jeux, fuient les anniversaires et les occasions de se réjouir, sont connus. Le monde enseignant en connaît la parfaite «sagesse». Mais cette sagesse est simplement due à cette volonté de se conformer à un monde dont on ne connaît pas les règles. Et cela se traduit parfois par le clivage et ses lourds passages à l’acte. Dans la plupart des cas, c’est la maturation psychologique qui est atteinte : l’incapacité de se projeter dans l’avenir – puisqu’il n’y a pas d’avenir – les empêche de devenir pleinement adultes. Ainsi la Cour administrative d’appel de Douai, siégeant au contentieux, a rejeté l’appel de parents de Témoins de Jéhovah, le 3 mai 2001 pour un refus d’agrément en vue d’adoption. Elle a considéré qu’«en raison des risques d’isolement social et de marginalisation auxquels ils exposeraient ainsi un enfant, le président du conseil général du Pas-de-Calais a estimé que les intéressés ne présentaient pas des garanties suffisantes en ce qui concerne les conditions d’accueil qu’ils étaient susceptibles d’offrir à des enfants sur les plans familial, éducatif et psychologique ; qu’il n’a pas fait ainsi une inexacte application des dispositions législatives et réglementaires [6]». La Cour d’appel de Douai ne faisait que reprendre ce qu’avait institué le Conseil d’Etat en 1992 : « qu’il ressort des pièces du dossier que M. et Mme F. ont fait connaître sans ambiguïté à l’administration, dans le recours gracieux qu’ils lui avaient adressé, qu’ils adhéraient personnellement à la doctrine des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion sanguine et qu’ils étaient opposés à l’usage de cette méthode thérapeutique ; que, par suite, en estimant que les intéressés ne présentaient pas des garanties suffisantes en ce qui concerne les conditions d’accueil qu’ils étaient susceptibles d’offrir à des enfants sur les plans familial, éducatif et psychologique, le président du conseil général du Doubs n’a pas fait une inexacte application des dispositions législatives et réglementaires.»

Les mineurs, sont les proies désignées de ces mouvements, qui, à l’escroquerie spirituelle, ajoutent le cynisme de l’escroquerie financière. Les secteurs de vulnérabilité sont facilement repérables, aide à l’enfance, soutien scolaire, activités extra-scolaire et artistiques…Les sectes infiltrent les services, distillent leurs doctrines et se moquent outrageusement de l’Etat. A celui-ci de réaffirmer sa volonté de protéger par la loi les plus faibles.

Pour contrer ces dispositions publiques et politiques, relevant la tête, les sectes s’organisent de plus belle, fédèrent leurs efforts, mutualisent leurs moyens. Elles créent des associations de défense de «leur» liberté, pour se protéger des démocrates qui les empêchent de prospérer en rond. Ceci dans une confusion des débats sur les droits spécifiques des communautés, où la défense du droit à la différence amène rapidement à la différence des droits. Les sectes s’engouffrent dans ce débat, le compliquant en lui donnant une dimension pseudo-religieuse, pour en tirer le meilleur profit.

Ce combat est mené au nom d’une conception de la liberté qui n’intègre pas les années de construction républicaine qu’il a fallu consolider pour protéger le citoyen des marchands d’espoir qui portent atteinte à l’ordre public et aux libertés garanties par la République.

[1] Londres 22.4.84
[2] Hounslow, 1984
[3] Vienne, 1986
[4] 06.05.1984, château de Mesnieres en Bray
[5] Le Progrès, 25 janvier 2006. Depuis, le père divorcé tente d’obtenir l’interdiction pour son fils d’être amené par sa mère aux offices jéhovistes.
[6] Cour administrative d’appel de Douai statuant au contentieux N° 98DA01397 Lecture du 3 mai 2001