Dans son ouvrage Les nouvelles routes du soi, le journaliste Marc Bonomelli analyse ses deux années passées en immersion avec les « nouveaux cheminants », ces néospirituels « en quête de sens », attirés par les retraites chamaniques ou jeûnes, cercles de sorcières, reiki, tarot, astrologie…
Dans un contexte de crise écologique, économique et politique, la perte de repères et le recul du collectif laissent place à une société toujours plus individualiste. Le besoin de lien et de transcendance explique l’essor d’une nébuleuse où prospèrent de multiples croyances autour de néochamanes, d’énergéticiens ou de militants qui spiritualisent l’écologie. Ce grand retour du sacré prend le contrepied de l’idéologie du progrès technique initié depuis la fin du XIXe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, nos systèmes technologiques -aussi performants que destructeurs- ont été remis en cause. Matérialisme et productivisme se voient alors critiqués par le mouvement hippie des années 1960 et la première vague New Age. Selon Marc Bonomelli, la redécouverte contemporaine du chamanisme reflète un besoin de réenchantement du monde. Aujourd’hui, les adeptes de ces pratiques sont majoritairement des femmes blanches ayant occupé des postes à responsabilités, au mode de vie matérialiste et parfois en quête de sens après un burn-out au travail. Certaines pensent trouver des chemins alternatifs dans les invitations au développement personnel qui leur sont adressées et dissimulent bien la nouvelle injonction culpabilisante faite aux femmes : le devoir d’aller bien ou mieux et de chercher perpétuellement à s’améliorer. Une industrie estimée à 11 milliards de dollars actuellement et dont les bénéfices n’ont rien d’évident. Un article de Neonmag résume la situation actuelle : « Aujourd’hui, la Wonder Woman 2.0 est déconstruite et indépendante : elle fait du yoga tous les matins, prépare des smoothies énergisants pour sa famille et court 10 kilomètres trois fois par semaine, raffole d’huiles essentielles et part en voyage solo pour se reconnecter à ses chakras, en mode Mange, Prie, Aime. Évidemment qu’avec tout ça elle trouve le temps d’aller au travail, quelle question ! ». Autrement dit, les spiritualités alternatives individualisent des réponses à des enjeux collectifs et font reposer sur leurs adeptes les solutions à des problèmes structurels. Par ailleurs, leur rapport très décomplexé à l’argent explique leur parfaite intégration au système capitaliste moderne. Les prix exorbitants de certaines séances imposées après des pseudo formations ou bien la vente des livres, conférences ou produits dérivés constituent également un marché rentable pour ces « nouveaux cheminants ».
L’accumulation d’expériences ésotériques et mystiques dans un contexte de mondialisation ; le refus de se soumettre à des dogmes ; la volonté de prendre ce qu’il y a de « vrai dans toutes les religions » explique le fourre-tout parfois grotesque et superficiel des croyances et pratiques affichées par ces spiritualités.
Par ailleurs, la perméabilité entre sphères occultistes et complotistes, de laquelle est né le néologisme « conspiracy », génère de nouveaux problèmes. Si les néo-spiritualités proposent des réponses « alternatives » aux enjeux du moment, elles peuvent également accroître certains dangers : individualisation des pratiques face à une crise collective et brouillage des frontières entre croyances et sciences à l’ère d’une désinformation générale grandissante.
(Sources : Ladn.eu, 02.12.2022 & neonmag.fr, 02.12.2022)