La « cuisine-thérapie » fait recette

Les séances de « cuisine-thérapie » sont en plein essor et font monter la moutarde au nez de certains médecins. Parce qu’on parle bien ici « de thérapie et non pas d’ateliers culinaires ». Or, « aucune étude scientifique n’atteste que cette technique fonctionne ». Et elle n’est pas sans risques.

La cuisine-thérapie, une méthode de développement personnel controversée, a émergé sous l’impulsion d’Emmanuelle Turquet en 2015. Cette approche vise, selon les termes que l’on retrouve sur son site, « à aider les individus à explorer leur moi intérieur, surmonter leurs blocages et expérimenter de nouvelles façons de faire à travers l’improvisation culinaire ». Les séances, proposées à partir de 80 euros pour une heure et demie, encouragent les participants à utiliser la nourriture comme un moyen d’expression. Pourquoi pas ? Sauf que les adeptes parlent bien de cuisine-thérapie et non d’ateliers de cuisine. Certains professionnels de la santé, comme le Dr Hugo Saoudi (ancien chef de clinique spécialisé dans les troubles des conduites alimentaires) ou encore la Dr Camille Ringot (psychiatre), tirent la sonnette d’alarme et remettent en question ce terme « thérapie », soulignant le manque de preuves scientifiques quant à son efficacité et les risques potentiels pour les personnes souffrant de troubles alimentaires. « Le terme est rassurant pour les participants mais il est trompeur ».

Emmanuelle Turquet se dit « consciente de ces préoccupations ». Elle ne parle d’ailleurs jamais de « patients ». Mais elle explique « chercher à prouver l’efficacité de cette méthode via une étude clinique qu’elle a entamée en collaboration avec le Professeur Jean-Luc Sudres, spécialiste des troubles des conduites alimentaires ». Pas de quoi rassurer les experts qui restent sceptiques : « en science, toutes les hypothèses sont fausses jusqu’à la preuve du contraire. Dire que l’efficacité sera démontrée n’a aucun sens ».

210 praticiens « certifiés » en France

Malgré cela, le nombre de praticiens en « cuisine-thérapie » augmente. Sur son site, Emmanuelle Turquet parle de 210 personnes certifiées (c’est-à-dire ayant suivi la formation basée sur des modules vidéo ciblés moyennant 5 000 € et la promesse de compléments de revenus pour les praticiens) et de plus de 6 000 personnes « accompagnées ».

Son parcours, issu du monde de la communication et du marketing, soulève aussi des questions sur ses qualifications dans les domaines médical et psychologique. Son approche, présentée comme « une révélation personnelle lors d’un voyage en Nouvelle-Zélande en 2012 », s’appuie sur diverses techniques de développement personnel telles que l’art-thérapie et la PNL (programmation neuro-linguistique). Son entreprise, Umami, réalise un chiffre d’affaires conséquent estimé à 1 M€ depuis sa création en 2015.

Malgré les critiques, Emmanuelle Turquet maintient que la cuisine-thérapie est une forme de « thérapie légitime ». Et pour se défendre, elle soutient bénéficier du label Qualiopi. Oui, mais ce label ne garantit pas de contrôle pédagogique dans le domaine de la formation professionnelle, comme l’a rappelé récemment la Cour des comptes. Et les professionnels de la santé insistent sur « les risques potentiels d’une telle approche, notamment en retardant la prise en charge médicale des troubles alimentaires qui affectent un nombre significatif de personnes en France ». 

(Source : Libération, 19.02.2024)

  • Auteur : Unadfi