Dans le courant du mois de décembre, le journaliste Thibaut Schepman a analysé pour La Revue des Médias de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) les stratégies des naturopathes et autres promoteurs des pratiques de soins non conventionnelles. Un autre article a quant à lui proposé des pistes d’explications à l’envahissement de la presse par des annonces d’ouverture de cabinets de divers thérapeutes.
Aujourd’hui les naturopathes usent des outils de communication 2.0 pour promouvoir leurs actions avec des vidéos YouTube ou en produisant du contenu pour les réseaux sociaux. Avant l’avènement des médias sociaux, dans les années 1970 et 1980, certains avaient basé leur stratégie médiatique sur des reportages diffusés à la télévision. Les praticiens dont les méthodes ont connu un récent succès -comme par exemple Thierry Casasnovas- s’inspirent de personnages qui ont connu une audience bien avant internet. On peut citer Guy-Claude Burger, fondateur de l’instinctothérapie1, condamné à plusieurs reprises pour exercice illégal de la médecine et viols sur mineurs. Ou encore Pierre-Valentin Marchesseau qui, un peu moins connu que le précèdent, est considéré comme l’un des fondateurs de la naturopathie à la française et dont les idées seraient « très réductrices voire trompeuses ou racistes ».
L’INA a choisi dans sa revue d’analyser des passages à la télévision de Guy Claude Burger, Vincent Marchesseau ainsi que d’autres trouvés dans ses archives. Cette analyse permet de montrer les techniques de promotion mises en place et les parallèles avec les discours tenus aujourd’hui. Ces différentes vidéos ont été analysées et commentées par plusieurs spécialistes du sujet.
Le premier reportage visionné a été diffusé en novembre 1985 sur Antenne 2. Il concerne Guy-Claude Burger installé alors au château de Montramé. Pour rappel, lors de la diffusion de ce reportage il avait déjà été condamné à quatre ans de prison en Suisse pour avoir encouragé et pratiqué les rapports sexuels entre adultes et enfants. Dans ce reportage, Burger évoque l’idée que cesser de cuire ses aliments – la base de sa doctrine-est une technique ancestrale. Pour Richard Monvoisin, enseignant à l’Université Grenoble-Alpes, faire appel à un argument d’ancienneté permet de dire « que si nos ancêtres le faisaient, et qu’on est encore là, alors ça doit être intrinsèquement bon ». Or une méthode ne reçoit un plébiscite scientifique que si elle est validée par des preuves et non par le caractère ancien de sa pratique. Outre cet argument, Clément, enseignant agrégé en biologie et cofondateur du collectif de l’Extracteur, constate que Guy-Claude Burger use de manière frauduleuse d’arguments scientifiques. Il donne à ses méthodes des noms aux allures scientifiques et affirme qu’il est mathématicien et physicien et qu’il a fait beaucoup de recherches mais n’en apporte jamais la preuve. Le membre de l’Extracteur décèle aussi une autre rhétorique constante chez les gourous de la santé celle de s’utiliser soi-même comme preuve. En effet, Guy-Claude Burger dit qu’il a été malade et qu’il a réussi à guérir. Pour Thibault Fiolet, épidémiologiste en santé publique et spécialiste de l’alimentation à l’Inserm, l’argument que la cuisson des aliments est nocive ne tient pas la route car la cuisson permet notamment l’élimination des micro-organismes et des virus ce qui est important pour notre sécurité alimentaire.
Un autre reportage analysé est un sujet consacré à la naturopathie tourné dans les locaux d’un médecin appelé Thierry Tournebise, et diffusé dans le JT de France 3 Aquitaine en 1980. Le thérapeute se donne un aspect très médical arborant une blouse blanche et des posters médicaux. Clément, de l’Extracteur, note qu’aujourd’hui les thérapeutes ne cherchent plus à ressembler à des médecins de peur qu’on le leur reproche et aussi pour s’éloigner de la médecine qu’ils critiquent. Richard Monvoisin remarque dans cette vidéo que le mot « naturelles » est mis en avant et il affirme que « Le mot naturel est un piège, car il implique pour beaucoup de gens non avertis aussi bien «normal» et «désirable» que «non transformé». Or la nature n’est ni bonne ni mauvaise en soi, tout dépend des usages ».
Enfin la dernière archive analysé date de 1974. Il s’agit d’une vidéo dans laquelle un naturopathe, Pierre-Valentin Marchesseau, remet en cause les vaccins en direct sur l’ORTF. Dans ce reportage, le naturopathe insinue que l’alimentation serait la cause de maladies. Thibault Fiolet rappelle que cela est faux et que les facteurs induisant les maladies dépendent de chaque maladie dont l’origine peut être multifactorielle. Richard Monvoisin constate dans le discours de Marchesseau une idée commune à de nombreux thérapeutes selon laquelle il faut trouver la cause d’une maladie pour pouvoir la guérir. Pour lui cela peut entraîner la satisfaction d’une fausse cause et « qu’on parte ensuite sur des voies de guérison en lien avec cette cause alléguée, qui ont des chances de se révéler des impasses. Autant sur des maladies bénignes, ce n’est pas grave, autant sur des cas de cancers ce n’est plus la même histoire. ». Trouver une cause à sa maladie offre quelque chose de rassurant pour le malade car il est généralement difficile d’accepter que quelque chose de si important soit le fait du hasard. Dans cette émission, les propos du naturopathe se heurtent à ceux d’un médecin présent sur le plateau et des présentateurs qui remettent ouvertement en cause ce qu’il défend affirme.
Dans l’ensemble des reportages visionnés, les paroles de ces gourous de la santé semblent plus directes que celles de ceux d’aujourd’hui qui semblent faire plus attention à leur vocabulaire et sont plus prudents dans leurs méthodes de communication.
Dans un autre article, La Revue des Médias se penche sur le traitement par la presse quotidienne régionale de l’installation d’un thérapeute alternatif. On voit régulièrement ce genre d’information traitée avec malheureusement trop peu de remise en cause des pratiques. La Revue des Médias s’interroge : L’installation d’un praticien aux méthodes non reconnues par l’État est-elle une information ? La multiplication de ces cabinets lors des dix dernières années a amené la presse à en faire une actualité. Ces cabinets de thérapies spécialisés dans des méthodes non reconnues ont connu une prolifération dûe notamment à une explosion des reconversions professionnelles.
Pour Nicolas Rebière, rédacteur en chef de La République des Pyrénées, l’installation de ces thérapeutes s’est accélérée depuis la crise sanitaire et les thérapeutes contactent bien souvent les correspondants pour faire part de leur installation. Il rappelle que parler d’un médecin ou d’une pharmacie est très règlementé notamment par les Conseils de l’Ordre. Il a essayé dans un premier temps de limiter les articles aux méthodes dont l’efficacité est reconnue, avant de décider de ne publier que l’installation de thérapeutes appartenant à un ordre de santé officiel et reconnu par le gouvernement.
À la lecture de nombreux articles sur ces installations dans divers quotidien, les journalistes de La Revue des Médias ont noté des arguments « à la fois faux et problématiques ». Notamment des arguments commerciaux « très percutants » qui vantent le fait que ces pseudo-thérapeutes s’intéressent aux causes de la maladie ou bien encore qu’ils prennent en charge l’individu tout entier et pas seulement sa maladie. La lecture de ces articles semble montrer que « les femmes seraient plus nombreuses à s’installer que les hommes », que bien souvent il s’agit de reconversions professionnelles et enfin que la grande majorité concerne des implantations dans des zones rurales où les médecins se font de plus en plus rare.
Romy Sauvayre, sociologue des sciences et des croyances et spécialiste des pseudo-médecines, qui a étudié la responsabilité et l’influence des médias dans la diffusion des croyances au sujet des pseudo-médecines estime que l’arrêt de la publication de ces articles serait la meilleure chose. Elle avance que « le simple fait de lire dans un titre des mots comme « magnétiseur » ou « lithothérapeute » va contribuer à légitimer ces pratiques, même si dans le corps de l’article toutes les précautions sont prises. En voyant ensuite un panneau “naturopathe” dans la rue, le lecteur adhérera plus facilement. »
(Sources : La Revue des Médias, 05.12.2022 & 12.12.2022)
1.Lire sur le site de l’Unadfi, Que sait-on de l’instinctothérapie : https://www.unadfi.org/actualites/domaines-dinfiltration/sante-et-bien-etre/pratiques-non-conventionnelles/que-sait-on-de-l-instinctotherapie/