Ils nous promettent de devenir meilleur, plus performant ou plus résilient. En quelques séances… et surtout quelques virements bancaires. Ils, ce sont les coachs. Depuis 2010, ils ont envahi notre paysage et les réseaux sociaux. Le journaliste Nicolas Poinsot a enquêté pour La Tribune de Genève.
Côté face : des promesses séduisantes. Ils prétendent nous guider dans nos parcours, nous remettre en selle après un choc ou faire ressortir nos potentiels les plus cachés. Côté pile : une usine à cash avec de possibles dérives, abus et incompétences en tout genre, susceptibles de générer des déceptions aussi fortes que les attentes qu’on nous laissait miroiter.
En France, un rapport de la Miviludes publié en 2023 a ainsi recensé 173 alertes concernant des pratiques de développement personnel avec une montée en flèche de 10 à 20 % ces deux dernières années. Même constat du côté du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) qui a reçu plusieurs plaintes d’anciens clients de coachs et qui a pointé « des outils qui s’apparenteraient à de la manipulation ». En Suisse, les surveillances officielles semblent moins actives. Deborah Hondius (avocate) et Jean Tschopp (responsable juridique de la Fédération romande des consommateurs) affirment, eux, ne pas avoir entendu parler de plaintes ou enquêtes en cours sur d’éventuels abus. Mais ils s’accordent à dire qu’il y a « un important bruit de fond et que le phénomène est bien présent ». Selon eux, « quand il y a arnaques, manipulations, voire agressions sexuelles, les victimes se figent dans un état de sidération et de culpabilité et ont encore honte d’aller porter plainte ». Ce que confirme Saverio Tormasella (docteur en psychologie clinique) : « on récupère de nombreux patients déboussolés après une mauvaise expérience de coaching. Ils ont souvent payé très cher, ils se sentent floués et ont perdu confiance ».
Un Far-West moderne
Comment en est-on arrivé là ? Pour Gaël Brulé (professeur de sociologie), « les gens acceptent de moins en moins les difficultés rencontrées sur leur parcours. Il y a une tendance à vouloir des solutions pour aller mieux rapidement. On est passé du droit à être heureux au devoir d’être heureux ». Et certains ont bien compris qu’il y avait dans cette injonction un marché juteux. « On se dit qu’un coach va trouver une solution immédiate, il va être dans l’émotion positive. Alors qu’un psy va investiguer dans votre passé et vous n’avez pas forcément envie de creuser parce que ce serait perçu comme un aveu de faiblesse, voire la preuve qu’on est malade », ajoute celui qui enseigne à la Haute Ecole de santé de Genève. Il met en garde contre les psychothérapies déguisées « qui entretiennent un niveau d’attente très élevé avec le risque de poursuivre une version infinie de soi qui n’existe pas ».
Le phénomène a débuté dans les années 90, « lorsque des spécialistes autoproclamés venus des Etats-Unis, inspirés de méthodes anglo-saxonnes, ont déclaré qu’il n’y avait plus besoin de psys, qu’il suffisait de poser des objectifs et de suivre des méthodes pour changer une situation, en véhiculant à l’envie qu’il suffit de le vouloir pour le pouvoir », ajoute Saverio Tormasella. Est alors né une sorte de Far-West moderne qui échappe largement à tout cadre légal sérieux. Cette profession n’est en effet pas réglementée en Suisse, comme dans nombre de pays, et elle ne s’appuie sur aucune définition officielle. Des méthodes présentées comme éprouvées scientifiquement sont en fait des méthodes qui évoluent dans des zones grises et peuvent conduire à des dérives. C’est notamment le cas de l’ennéagramme (figure ésotérique) ou de la PNL (Programmation neuro-linguistique) présentées par la Miviludes comme « pratiques à risques ».
Des certifications non reconnues
Conscientes que l’écosystème du coaching était en train de devenir une jungle, plusieurs forces actives dans le milieu ont cherché à encadrer et structurer cette pratique. C’est notamment le cas de l’EMCC (European Mentoring & coaching Council) et de l’ICF (International Coaching Federation). Cette dernière, qui recensait 26000 coachs en 2018 et le double 5 ans plus tard, ne propose pas de cursus mais définit des référentiels de formation et un code de déontologie. Mais cette valse de certification laisse dubitatif le sociologue Jean-François Amadieu qui rappelle qu’il « ne s’agit pas d’une discipline académique. Ils se délivrent des labels entre eux, hors du système étatique, ce qui n’offre strictement aucune garantie ». Ces pseudo-diplômes ne constituent donc pas un rempart contre des pratiques abusives. Ni contre l’inflation des prix. En Suisse, une séance de coaching est facturée entre 100 et plus de 1000 francs l’heure, une formation pouvant dépasser les 5000 francs.
(Source : Tribune de Genève, 18.12.2023)