Vertigineuse poussée évangélique

Dans le plus grand pays catholique du monde, l’Eglise romaine pourrait se retrouver en minorité d’ici 10 ans. Malgré leurs liens avec les narcotrafiquants et les scandales impliquant leurs leaders, les évangéliques s’imposent de façon vertigineuse. C’est ce que révèle une enquête parue dans Le Monde.

126 mètres de long, 55 de haut (2 fois le Christ de Rio), 10 000 places assises, 210 millions d’euros d’investissement… Inauguré en 2014 au cœur de Sao Paulo, par l’Eglise universelle du royaume de Dieu, le Temple de Salomon est aujourd’hui le plus grand édifice religieux du Brésil. Cet édifice colossal illustre, à lui seul, l’ascension fulgurante des évangéliques au Brésil. Dans les années 70, le pays comptait 91 % de catholiques et 5 % de protestants. Aujourd’hui, le rapport est de 50 % contre 31 %, soit 66 millions de réformés sur les 210 millions d’habitants que compte le pays, selon l’institut Datafolha. A ce rythme, l’église catholique pourrait se retrouver minoritaire dès 2032. Tous s’accordent à dire que cet essor n’est pas en soi une menace pour la démocratie. Il participe du pluralisme religieux. Le vrai danger vient des pasteurs fondamentalistes qui instrumentalisent la foi, la politique et les électeurs.

Un électorat imperméable aux scandales

Car rien ne semble perturber cet électorat. Pourtant, les scandales ne manquent pas : le presbytérien Milton Ribeiro (ministre de l’Education de Bolsonaro) a été poursuivi pour des pots-de-vin ; la députée pentecôtiste Flordelis dos Santos de Souza, mère adoptive de 51 enfants, a été emprisonnée pour avoir orchestré l’assassinat de son mari. Que dire d’Edir Macedo, fondateur et chef suprême de l’Eglise universelle ? A 78 ans, celui dont le magazine Forbes estime la fortune à 1,2 milliard d’euros est régulièrement accusé de charlatanisme, blanchiment d’argent et évasion fiscale… Mais celui qui s’est rangé derrière Bolsonaro et qui a clamé que « le Covid-19 était une tactique de Satan pour semer l’effroi » n’a jamais été condamné… Et dans leur croisade contre le satanisme, les pasteurs extrémistes reçoivent parfois l’appui de trafiquants de drogue, « parce que dans l’écosystème des favelas, trafic et Eglises cohabitent » rappelle le sociologue Diogo Silva Correa.

Arrivé au pouvoir après une vaste offensive de fake news contre son adversaire, Bolsonaro n’a pas déçu ses admirateurs : il a placé des ministres évangéliques à l’Edudation, à la Justice et au ministère de la Famille et des Droits de l’homme. A la tête de ce dernier, l’ancienne avocate et pasteure de l’Eglise quadrangulaire, Damares Alves, prétend avoir croisé Jésus mais surtout, celle qui voulait convertir les païens est soupçonnée d’enlèvement et séquestration d’enfants indigènes… Bolsonaro a également effacé une dette de 260 M€ due par les Eglises évangéliques et maintenu ouverts les lieux de culte durant la pandémie de Covid-19.

1 049 temples en 1970, 109 560 en 2019

Avec son slogan « le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous », le capitaine, comme on le surnomme, a su séduire les pasteurs extrémistes qui ont vu en lui l’occasion de faire avancer leur projet de pouvoir, voire l’avènement « d’une nation évangélique ». Ainsi confortées dans leurs convictions, certaines Eglises se taillent de véritables empires médiatiques (comme TV Record, 2e plus grande chaîne du pays) et envahissent les réseaux sociaux. Même si la gauche s’en irrite, de nombreux pasteurs diffusent ainsi leurs positions conservatrices, sinon rétrogrades. Ils ne font pas mystère de leur position antigay et anti-avortement entre autres. Pendant longtemps, cette déferlante a été silencieuse. Elle ne l’est plus. Le marché de la foi a explosé. Les congrégations disposent de leurs cafés, de leurs boutiques, de leurs maisons d’édition (chaque église possède son label) et même de leurs sex-shops.

La progression des évangéliques est vertigineuse. Et ce n’est pas une vue de l’esprit. Pour preuve : 1 049 temples recensés en 1970, 109 560 en 2019 selon une étude publiée par l’université de Sao Paulo. Il faut dire que, à la différence des catholiques, « n’importe quel évangélique peut ouvrir son église sans en référer à une autorité », rappelle le sociologue Valdinei Ferreira. « Certaines années, il s’en est ouvert jusqu’à 14 000, soit 38 par jour » ! Dans cette galaxie hétéroclite, on retrouve surtout les Assemblées de Dieu, l’Eglise baptiste, la Congrégation chrétienne et l’Eglise universelle. Toutes ont un point commun : « les fidèles y trouvent un culte chaleureux, musical, extatique… Autrement plus palpitant que la lourde pompe vaticane », poursuit le sociologue. Mais surtout, ces Eglises ont leurs propres banques. Car la proximité avec Dieu n’est pas gratuite. Et les fidèles sont lourdement incités à verser une dîme à leur ministère. 

(Source : Le Monde, 10.12.2023)

  • Auteur : Unadfi