La raison et la croyance, pas si incompatibles ?

Plus de 41% des Français adhéreraient aux thèses de l’astrologie et 28 % croiraient aux envoûtements et aux sorcières1. La tendance actuelle à adhérer à des croyances occultes ou à considérer comme fiables certaines pseudo-sciences signe-t-elle un retour en arrière ?

En réalité la rationalité et la croyance coexistent depuis longtemps, l’histoire nous le démontre. Beaucoup des grands personnages qui semblent à première vue s’être illustrés dans des domaines qui évoquent la rationalité se révèlent être également adeptes de croyances occultes. Ainsi de Catherine de Médicis, reine instruite, froide, mais superstitieuse et passionné d’occultisme, à Jean Bodin, théoricien politique qui est le premier à avoir établi l’idée de souveraineté de l’Etat, mais qui croyait à l’existence des sorcières. Ou encore Newton, à l’origine de la loi universelle de la gravitation, convaincu de la réalité de la pierre philosophale et qui a cherché toute sa vie à l’obtenir. Jusqu’au XVIIe siècle, chimie et alchimie se confondent, tout comme astronomie et astrologie.

C’est en 1666, avec la création de l’Académie royale des sciences que la distinction s’opère : le Roi rejette l’alchimie et l’astrologie. Une révolution scientifique s’entame. La méthode expérimentale se développe. Mais cela ne signifie pas la fin de l’irrationnel. Une entrée est consacrée à l’alchimie dans l’Encyclopédie ; les débats sur la sorcellerie se maintiennent ; Mesmer entre en scène avec son « magnétisme animal ». Et tout cela se déroule à l’époque où Lavoisier publie ses travaux, où la montgolfière est inventée, où des physiciens étudient les phénomènes électriques.

Comment expliquer cette dynamique ? Les grandes avancées scientifiques et techniques entraînent une importante curiosité auprès du grand public, qui dès lors se tourne vers les croyances occultes pour étancher sa soif de découverte. Et lorsque la religion recule, le mysticisme prospère. Au début du 19ème siècle, le spiritisme arrive en France. Importé des Etats-Unis, le spiritisme consiste dans le fait de communiquer avec les morts. Le Livre des Esprits d’Allan Kardec participe au phénomène. En 1850, le télégraphe est inventé. Cette prouesse technologique suscite de nouvelles croyances quant aux possibilités de communiquer avec les morts. L’historien Guillaume Cuchet l’explique bien : « le progrès technique, en brouillant les frontières du possible et de l’impossible, a pu faciliter la pénétration du spiritisme dans une partie de la société ».

Au 20ème siècle, les progrès économiques permettent à beaucoup d’accéder à la consommation de masse. Mais la science effraie : avec la guerre froide, le progrès technique tend à être associé à la guerre et à la bombe. La jeunesse se tourne vers les religions orientales, notamment le bouddhisme et l’indouisme, ainsi que vers les drogues hallucinogènes pour fuir les inquiétudes générées par le contexte politique. Il n’est donc pas si surprenant, à l’heure du réchauffement climatique, du tourisme spatial et de la toute-puissance des réseaux sociaux que la population se tourne vers des thèses, croyances et superstitions affiliées aux pseudo-sciences ou à l’occultisme. 

(Source : Marianne, 02.05.2022)

  1. Sondage IFOP 2020, Les Français et les parasciences
  • Auteur : Unadfi