Polémique autour de la présence de pseudo thérapeutes sur Doctolib France

Depuis mi-août la plateforme numéro un de prise de rendez-vous médicaux Doctolib est l’objet d’un déferlement de critiques sur les réseaux sociaux et dans la presse. C’est un tweet publié par un internaute qui déplore que Doctolib ait ouvert sa plateforme à des praticiens dont les pratiques ne sont pas reconnues qui a mis le feu aux poudres le 19 août.

La plateforme se justifie rapidement en expliquant qu’une mention en haut de page indique que le praticien exerce une profession non réglementée et ajoute que les thérapies complémentaires étant de plus en plus promues, par des associations de patients par exemple, ce n’est pas à elle de trancher sur leur utilité ou leur efficacité. Elle précise, en outre, que les soins non-conventionnels qui ne représentent que 3% de son répertoire ne sont pas mis en avant sur le site.

Des médecins, comme le docteur Jérôme Marty, reprochent à la plateforme, dont le suffixe Docto peut prêter à confusion, de tromper les gens en acceptant des praticiens alternatifs. Pour Emmanuel Hirsh, Professeur d’éthique médicale à l’université Paris Saclay, Doctolib remplirait une mission de service public. Pour, le docteur Luc Duquesnel, les patients peuvent avoir l’impression de trouver une réponse à leur problème, alors que « certaines pratiques non encadrées se font même au détriment de leur santé ». Même si certaines pratiques dites complémentaires existent depuis des années dans les hôpitaux, les médecins dénoncent le manque d’accompagnement et de suivi médical des patients qui peuvent prendre rendez-vous avec n’importe qui.

D’autres praticiens de santé mettent en garde contre des profils de naturopathes dont les pratiques, comme l’auto-guérison, l’iridologie ou le reiki, sont susceptibles de dérives sectaires et sont parfois mises en cause par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Passant au crible les profils des thérapeutes alternatifs référencés sur la plateforme, des internautes ont décrit leur fiche et découvert que d’autres thérapeutes promouvaient l’urinothérapie, consultaient en tant que médium, proposaient des séances de chamanisme et que d’autres avaient eu recours à des formateurs sulfureux comme Thierry Casasnovas, le fondateur de Régénère, ou à la naturopathe Irène Grosjean. Le premier, adepte du crudivorisme et du complotisme, prétend pouvoir guérir des pathologies graves grâce à des jus de légume. Il est actuellement sous le coup d’une information judiciaire. Irène Grosjean, quant à elle, a été accusée par le collectif L’Extracteur de faire la promotion d’une pratique de soin relevant de l’abus sexuel sur enfants. Selon elle, il serait possible de faire chuter la fièvre des enfants en frictionnant leur sexe avec un gant glacial. Elle promet aussi de guérir le cancer et le VIH en absorbant des aliments crus.

Toutes ces pratiques, sans effets prouvés sur la santé, peuvent s’avérer dangereuses quand elles promettent de soigner des pathologies graves.

Qu’en est-il du contrôle des praticiens qui s’inscrivent sur la plateforme ? Sur Doctolib, les particuliers peuvent prendre rendez-vous avec trois catégories de praticiens : les professionnels de santé encadrés par le Code de santé publique, les thérapeutes inscrits au fichier Adeli, géré par les Agence régionale de santé (ARS), et des thérapeutes bien-être, dont la formation et la profession ne sont pas encadrées et ne font l’objet d’aucun contrôle. Ces derniers peuvent fixer librement le prix de leurs honoraires. N’importe qui peut se présenter comme naturopathe et s’inscrire sur le site déplore Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’université Paris-Cité.

Lors de leur inscription les praticiens ne font l’objet que d’un contrôle d’identité et sont responsables de leur fiche qu’ils peuvent modifier à tout moment. Ils n’ont même pas besoin de fournir un diplôme. Ce qui est un peu léger au regard de l’importance prise par Doctolib durant la pandémie, en particulier de son rôle central dans la campagne de vaccination qui lui a donné quasiment un statut de service public. Tristan Mendès France craint que des thérapeutes profitent de « l’aura du site pour se crédibiliser auprès du grand public ».

Prenant au sérieux les alertes des internautes, la plateforme a indiqué qu’elle n’hésitera pas à faire des signalements ou à suspendre les thérapeutes susceptibles d’être dangereux pour les patients. Le 22 août elle a immédiatement suspendu les profils de 17 praticiens formés auprès de Casasnovas et Grosjean.

Face aux remous causés par l’affaire Doctolib, Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer a demandé, le 22 août, à Christian Gravel, président de la Miviludes, d’organiser une réunion de travail avec Doctolib. Depuis les deux structures travailleraient conjointement. Mais les contrôles ne concernent que les profils signalés pour l’instant. C’est pourquoi certains figurent encore sur le site.

Le 23 août, l’Ordre national des médecins a réagi à son tour en demandant à Doctolib de « renforcer ses règles éthiques pour s’inscrire sur sa plateforme. »

Le 24 août, la plateforme a promis de renforcer ses procédures de vérification et d’engager un travail de fond avec le comité médical du site et les professionnels de santé. Elle a décidé de créer une équipe dédiée à la vérification des identités et des fiches des praticiens. La plateforme a aussi annoncé des modifications de son site pour distinguer les praticiens bien-être des professionnels de santé. Elle a mis en place un formulaire permettant de signaler un thérapeute déviant. Doctolib a aussi suspendu, jusqu’à nouvel ordre, les inscriptions de nouveaux thérapeutes bien-être.

Pour Pierre de Bremond d’Ars, président de (No)FakeMed, le site devrait fonctionner comme les maisons de santé pour lesquelles la loi interdit « d’avoir une salle d’attente commune avec des professions non conventionnelles ». Pour lui Doctolib devrait créer un site distinct pour les référencer.

La plateforme a des progrès à faire en ce qui concerne la vérification des nouveaux inscrits sur son site. La cellule investigation de Radio France a en effet révélé, le 26 août, qu’une enquête a été ouverte, en juillet, pour exercice illégal de la médecine à l’encontre de deux personnes qui s’étaient fait passer pour des pédopsychiatres sur le site et avait piégé des patients, dont la mère de famille qui a découvert la supercherie. Le 29 août Doctolib a une nouvelle fois été piégé par un animateur de Virgin Radio qui s’est filmé en train de créer un faux profil de naturopathe diplômé d’une école belge, aidé par l’un des consultants dédiés à cette tâche chez Doctolib. L’entreprise assure que le canular a été repéré et la fiche effacée au bout de quelques heures.

Pour l’heure, la recherche de thérapies non réglementées est toujours possible et ce n’est que lorsque que l’on est sur la fiche d’un praticien qu’un avertissement apparaît. Sur la page listant les résultats de recherche aucune alerte n’est visible.

Il est à noter que le Sénat a réagi le 2 septembre. Parmi les sénateurs qui se sont saisis du sujet, Bernard Jomier, qui exerce aussi comme médecin généraliste, pense que Doctolib est devenu un acteur de la chaine de soins. A ce titre il préconise, pour simplifier les choses, que la plateforme limite son annuaire aux professions de santé reconnues. Cela éviterait à Doctolib d’avoir à décider ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas. Pour la sénatrice Catherine Deroche, Doctolib doit intégrer « les ordres professionnels à sa réflexion, parce que finalement ce sont des questions d’éthique.  « Il faudrait convenir d’une charte » ajoute-t-elle. 

(Sources : L’Indépendant, 19.08.2022, Le Parisien, 21.08.2022 & 27.08.2022, La Croix 21.08.2022, BFMTV, 22.08.2022, L’Express le 28.08.2022, Le Monde, 31.08.2022, Libération 01.09.2022)

1 Lire les articles à propos de Régénère sur le site de l’Unadfi : https://www.unadfi.org/mot-clef/regenere/

2 Lire les articles à propos d’Irène Grosjean sur le site de l’Unadfi : https://www.unadfi.org/?s=grosjean

  • Auteur : Unadfi