Qui est Thierry Casasnovas ? Son parcours, les inquiétudes qu’il suscite

Régénère, l’association créée par Thierry Casasnovas, fer de lance du manger cru et du jeûne, a fêté ses dix ans en février 2021. Son fondateur, qui se reconnaît autodidacte, dispense des conseils santé controversés à près de 500 000 abonnés sur Youtube.

Thierry Casasnovas est surtout la personnalité la plus signalée à la Miviludes ces cinq dernières années. L’organisme a recensé près de 600 saisines le concernant, dont 70 pour la seule année 2020. Des témoignages inquiétants ont amené l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) à ouvrir en juillet 2020 une enquête pour mise en danger de la vie d’autrui, confiée à l’automne au parquet de Perpignan.

À la tête d’une entreprise florissante en développement personnel, Thierry Casasnovas a fait de sa propre “success story” un argument marketing pour attirer à lui toujours plus d’abonnés sur Youtube et vendre toute une gamme de produits hors de prix allant du trampoline aux séminaires en passant par l’extracteur de jus. Mais son parcours, dont il a remanié à plusieurs reprises le récit, n’est peut-être pas celui qu’il souhaite faire croire.

Son parcours : les débuts

Natif de Perpignan, ce fils de profs, ancien boulanger bio itinérant, se présente comme un miraculé dans sa biographie officielle. À l’âge de 33 ans, atteint d’une tuberculose, une hépatite C et une pancréatite, dues à une mauvaise alimentation, il est aux portes de la mort, lorsqu’il a la révélation. Désormais il ne mangera que des aliments crus. C’est le début de la régénérescence, processus qui donnera son nom à son association Régénère, à sa boutique Régénérescence ainsi qu’à son centre de formation RGNR.

Mais ce récit sera battu en brèche par les vidéos de L’Extracteur, un collectif de vulgarisateurs scientifiques qui, en s’appuyant sur les 1 500 vidéos publiées par Casasnovas, ainsi que sur ses interventions sur des forums, démontrent les mensonges et les incohérences de son discours pseudo-médical. Le collectif a mis en évidence, preuves à l’appui, qu’il n’est pas venu au cru par miracle. À la fin des années 1990, addict à diverses substances, il essaie différents types d’alimentation, végétarisme, végétalisme, macrobiotique afin d’améliorer sa santé déclinante. Mais rien n’y fait, pas même sa cure, en 2006, en Floride à l’institut Hippocrate, un centre de santé prônant l’hygiénisme et les soins au jus d’herbe de blé, dont le dirigeant, Brian Clement, s’est vu interdire d’exercer suite au décès d’une fillette leucémique. S’il n’a pas guéri, on lui a diagnostiqué une tuberculose à son retour, « il en a gardé les grands principes – les jus soignent tout, du sida à l’autisme – et un certain sens du marketing ».

De 2006 à 2011 son parcours est chaotique, il atteint le poids critique de 30 kg et sa santé décline de plus en plus jusqu’à la révélation et à la découverte du crudivorisme auquel il attribuera le retour de sa santé.

Pourtant dans la première vidéo qu’il poste en 2011 sur son blog Vivre cru, depuis la Thaïlande, il apparaît encore famélique et édenté.

Cette vidéo sera la première d’une longue série grâce à laquelle il va se faire connaître et gagner un public toujours plus nombreux avide de ses conseils sur l’alimentation qu’il considère comme un moyen de guérison. « Très “YouTubegénique”, il a ouvert la voie à tout un écosystème de gourous de la santé », déplore Tristan Mendes France.

Son parcours : développement et reconnaissance dans les milieux alternatifs

En 2012, il fonde Régénère, organise ses premiers stages et commence à multiplier les conférences.

Affirmant voir obtenu une maîtrise en physique1, il se sert de ce bagage scientifique pour rendre crédible son jargon pseudo-scientifique sur l’alimentation et ajouter au panel de ses formations des pratiques pseudomédicales comme l’iridologie (diagnostique par les yeux) ou plus récemment l’hormèse (« tout ce qui ne tue pas rend plus fort »).

En 2016, il a depuis longtemps quitté la propriété de ses parents où il tournait ses premières vidéos, et attire près de 3 000 fans au premier festival RGNR. La même année, il noue ses premiers liens avec l’extrême droite locale et trouvera en Alain Soral un soutien qui relaiera ses vidéos sur le site Egalité et réconciliation.

Son auditoire augmente et peu à peu il lisse son image passant d’un physique de baba cool au cheveux longs à celui de quadra grisonnant à la barbe bien taillée. « Son évolution est notable », souligne Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi). « Il a aujourd’hui la tête du petit chef d’entreprise propre sur lui, mais il coche toutes les cases du gourou. La santé, c’est l’intime, ça oblige à se livrer totalement. C’est pourquoi le changement d’alimentation a toujours été un des signaux faibles d’emprise. Là, c’est le cœur du mouvement. » 

En 2018, profitant de la polémique suscitée par l’élargissement de l’obligation vaccinale, il se lance dans une croisade antivaccination et prodigue des conseils pour falsifier les carnets de santé.

En 2019, il invite Dieudonné au festival de la Régénérescence et en 2020, celui-ci lui rendra la politesse en lui décernant une Quenelle d’or du lanceur d’alerte, couronnant une radicalisation de ses propos depuis le début de la pandémie. « C’est à l’extrême droite que son discours, qui porte en lui tous les marqueurs idéologiques de la complosphère, résonne le plus fort », explique Tristan Mendes France. Il est d’ailleurs très proche de Rabhi à ses débuts et défend une vision passéiste de l’avortement et de la contraception qu’il réprouve en se disant « intégriste au possible, traditionnaliste… J’ai l’air cool comme ça, mais c’est un cheval de Troie. […] »

En 2020, la pandémie a été une véritable aubaine pour lui. Encourageant une sorte de résistance aux mesures sanitaires, il multiplie les live vidéo aux côtés de figures de la médecine alternatives et de la complosphère comme l’ancien médecin Christian Tal Schaller, Jean- Jacques Crèvecoeur ou Silvano Trotta ou de personnages moins connus tel Slobodan Despot, rédacteur en chef d’Antipresse et « ex-conseiller du politicien suisse anti-musulmans Oskar Freysinger. »

Dernièrement, à l’occasion des 10 ans de Régénère, il se félicitait de la montée du mouvement souverainiste, encourage la « décitoyennisation » et a décidé de se saisir du thème dans ses formations.

Une affaire florissante

Les affaires de Thierry Casasnovas prospèrent. Outre les extracteurs de jus qui ont fait sa renommée, il vend toute une gamme d’appareils de cuisine, des compléments alimentaires, mais aussi des trampolines, sur lesquels il touche une commission. Il vend également des séminaires, activité mise en pause en raison de la pandémie et des formations en ligne. Il a également lancé une activité de coachs RGNR franchisés et un magazine papier imprimé par Progressif Média, une maison d’édition évangélique. Toutes ses activités, qu’il fait tourner avec une quinzaine de salariés, lui auraient permis de dégager près de 2 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2019.

Enfin, il est également propriétaire de plusieurs bien immobiliers dont un gîte payé comptant.

Un discours qui suscite l’inquiétude

Souhaitant interroger Thierry Casanovas, Thomas Gendron, journaliste à Libération s’est rendu à Céret et à Taulis, deux villages situés dans la vallée du Vallespir, dans les Pyrénées-Orientales. Philippe Becker, journaliste à La Semaine du Roussillon, explique que cette région attire les adeptes des mouvances new age, des survivalistes, des thérapeutes, qui forment un réseau profitant de la proximité de la frontière espagnole pour nouer des contacts de part et d’autre et le cas échéant fuir en Espagne en cas de problème. Il note que ces mouvements ont souvent des connexions avec l’extrême droite.

Faute d’obtenir un rendez-vous avec Thierry Casasnovas, le journaliste interroge les habitants de la vallée et découvre qu’il ne laisse personne indifférent. Certains s’étonnent de l’acharnement médiatique dont est l’objet « le guérisseur », alors qu’il ne « cherche qu’à soulager les autres », tandis que d’autres s’inquiètent pour « cette copine fragile qui a disparu deux mois et qu’on voit réapparaître avec 20 kilos en moins à l’hôpital ». Certains ont craint qu’il ne monte une école à Taulis, d’autant que selon eux il serait « bien copain avec madame la maire » du village dont il a été élu conseiller municipal en 2020. Au fur et à mesure que les langues se délient, des habitants supposent qu’il « doit quand même toucher des thunes avec les terrains et les baraques qu’il achète », le journaliste apprend aussi qu’il a accouché sa femme tout seul dans une caravane.

Dans un entretien publié en 2018 par La Semaine du Roussillon, Thierry Casasnovas avait revendiqué être un autodidacte. Pourtant dans ses vidéos, l’homme qui ne manque pas de bagou balaie un large spectre de pathologies allant de la myopie à la ménopause, jusqu’au diabète ou au cancer.

Si ses conseils sur l’hygiène de vie semblent souvent relever du bon sens lorsqu’il recommande une alimentation saine et de bonnes nuits de sommeil, ils deviennent dangereux lorsque s’érigeant en « visionnaire, homme de foi, enseignant, chercheur et orateur », il affirme que la « maladie n’existe pas » et que le « cancer n’est qu’un signal d’alarme du corps ».

Pour lui, il suffit de changer son mode de vie pour « impacter des pathologies lourdes ». Il va même jusqu’à affirmer que « le sida n’est pas un virus », d’ailleurs une « personne non immunodéprimée ne devrait pas avoir de problème lors d’un rapport sexuel même si elle n’est pas protégée ».

Ses propos se font outranciers, lorsqu’il déclare que les mammographies « causent des cancers du sein » ou que les dépistages sont « du fist-fucking », de quoi « faire de vous les petites putes des labos ». Pour lui tout se règle par les jus, le jeûne et un peu de prière. Selon lui « on est trop vissé à notre expérience terrestre. C’est qu’une étape. Quoi qu’il se passe, après, on va avec le boss… »

En dépit de son discours anti médecine qui peut amener des personnes à se détourner de traitements conventionnels et perdre des chances de guérison, il a de nombreux fans qui espèrent le miracle comme celui qui a rédigé ce commentaire : « Jeûne sec de trois jours, je souhaite continuer 20 jours ou plus afin d’éradiquer le diabète » ou cet autre totalement dans la vénération qui lui écrit : « T’écouter pendant mon jeûne sec, c’est ma nourriture ! ».

Pour Marion Paquet, journaliste spécialisée dans les pratiques alternatives, il « est devenu gourou malgré lui. Il est convaincu de ce qu’il dit ». Et lui-même reconnaît « il ne faut pas se leurrer, j’aime qu’on m’écoute. » Mais, s’insurge Marion Paquet, « si tu proposes un miracle à des gens qui sont désespérés, c’est clairement de l’abus de faiblesse ». D’ailleurs, ajoute-t-elle, « son argumentaire est tellement bien fait que si tu ne recoupes pas, tu ne fais pas la différence entre le vrai du faux ».

C’est cet argumentaire bien rodé qui a séduit un temps Clément B. le narrateur des vidéos de l’Extracteur. Malgré son bagage scientifique -il est professeur agrégé en biologie les arguments pseudo scientifiques de Thierry Casasnovas l’ont attiré lorsqu’en 2015, cherchant des conseils pour changer de régime alimentaire, il voit son nom revenir constamment sur les forums de discussion. Il ira même jusqu’à s’acheter un extracteur de jus. Mais son « discours anti médecine, anti vaccin, anti pratiquement tout » finira par lui ouvrir les yeux.

Début mars 2020, France 5 a livré dans La Fabrique du mensonge, le témoignage à visage découvert d’une jeune femme qui ne pesait plus que 38 kg après avoir suivi durant deux ans le régime Casasnovas, traitement qui s’est achevé par une tentative de suicide. Deux jours après la diffusion du reportage, elle s’est en partie rétractée dans une vidéo tournée aux côtés de Thierry Casasnovas en expliquant que ses propos avaient été sortis de leur contexte. Il est à souligner qu’après la diffusion de l’émission de France 5, elle avait été victime d’un déchaînement de haine par des crudivores.

Une dizaine d’auditions de victimes a eu lieu suite à ce revirement soudain qu’une source proche du dossier soupçonne d’avoir été obtenu sous la contrainte.

Clément, l’un des membres de l’Extracteur, ainsi que les associations d’aide aux victimes de sectes comme l’Unadfi ou le Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (Caffes), confirment avoir reçu des témoignages de victimes de Thierry Casasnovas.

Ces témoignages sont tous du même type raconte Clément : « des personnes qui voient un proche se détourner de la chimiothérapie, des individus qui se sont sentis méprisés par les docteurs incapables d’atténuer leur maladie chronique et qui se jettent corps et âme dans la méthode Régénère, y laissant des milliers d’euros. Et parfois leurs dents ou leurs cheveux… »

Mais une sanction judiciaire sera difficile à obtenir car les victimes sont réticentes à porter plainte, et lorsque leur santé se dégrade après avoir suivi ses conseils, ces personnes se tiennent pour responsables. « Les victimes, souvent en rupture familiale ou en très grande fragilité, sont honteuses » déplore Charline Delporte, la présidente du Caffes. Thierry Casasnovas a senti le vent tourner et jouant sur les mots, il dément faire de la « médecine » mais dit « parler de santé ».

Ayant conscience des accusations qui pèsent sur lui, il en joue pour se moquer de ses détracteurs comme par exemple lorsqu’il conclut l’une de ses vidéos par : « Tout ce que vous avez entendu est l’action d’un groupe mal intentionné et sectaire. » Mais, suite aux vidéos de l’Extracteur, il a quand même pris soin de supprimer près de 600 de ses vidéos, notamment les « questions réponses » qui frôlaient l’exercice illégal de la médecine.

Pour Thomas Durand, cocréateur de l’émission La Tronche en Live, « Thierry Casasnovas cumule bien des caractères du gourou ». Ce dernier qui lui avait proposé un débat s’est désisté et lui a interdit de rendre public le contenu de leurs échanges. « Cette opacité-là, elle devrait inquiéter ceux qui veulent lui faire confiance. »

(Sources : La Semaine du Roussillon, 07.03.2021 & Libération, 24.03.2021)

1- L’université de Perpignan déclare ne jamais avoir délivrer ce diplôme.

Lire l’ensemble des articles sur Régénère : https://www.unadfi.org/mot-clef/regenere/

  • Auteur : Unadfi