Dans l’imaginaire collectif, la secte est une communauté spirituelle dont les membres vivent coupés du monde sous la domination d’un gourou. Si ce schéma perdure, aujourd’hui des nouvelles tendances se dessinent et les sectes puisent leur inspiration dans de multiples sources. Samuel Laurent, journaliste au Monde, dresse un panorama du phénomène sectaire en France qui montre le haut degré d’adaptation de ces groupes aux changements de la société.
En 2020, la Miviludes recensait 3 008 signalements soit une hausse de 30 % sur les cinq dernières années. Parmi ceux-ci, un quart concernait des personnalités ou des organisations inconnues. À la faveur de la pandémie mondiale de Covid-19, ce phénomène s’est encore accru amenant les pouvoirs publics à s’y intéresser à nouveau.
Marlène Schiappa, déléguée auprès du ministère de l’Intérieur, a demandé fin août 2020 un rapport sur l’actualité de la menace sectaire. Rendu en février 2021 ce document fait le constat d’une modification du paysage sectaire et de son fonctionnement. Le rapport recense 140 000 personnes sous emprise et 500 microgroupes. Un chiffre sous-estimé « par rapport à ce qu’on trouve en se baladant sur la Toile » estime Pascale Duval, la porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi). Elle explique, « on est dans un renouveau des pratiques », « on a affaire à de microgroupes, des communautés virtuelles, qui sont bien moins visibles. »
En effet, la nouveauté de ces dernières années est le développement de communautés sectaires dans l’espace virtuel du Web et des réseaux sociaux. L’isolement généré par le premier confinement en mars 2020 et les bulles de filtre engendrées par les algorithmes informatiques ont amené un nouveau public, en quête de réponses sur la pandémie, à s’intéresser aux pratiques alternatives et au bienêtre.
Quelques figures déjà connues ont vu leur audience grimper en flèche, comme ce fut le cas avec le Youtubeur crudivore Thierry Casasnovas ou Jean Jacques Crèvecoeur, à la fois conférencier en développement personnel et conspirationniste de longue date. Pour les spécialistes de la cellule spécialisée du Service central de renseignement criminel de la gendarmerie nationale (SCRCGN), « ils se connaissent tous, ils font des vidéos, des webinaires ensemble. (…) C’est une criminalité organisée ».
La pandémie a profité à ce que Eric Berot, chef de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), appelle « les nouveaux gourous : thérapeutes psychocorporels, chamans, coachs de vie, etc. » Pour lui « l’épidémie de Covid-19 représente du pain béni, à la fois pour les charlatans et pour ceux qui défendent des thèses de fin du monde. »
Mais le domaine de la santé n’est pas le seul à qui la pandémie a profité. Les dérives sectaires dans le champ du coaching sont aussi en pleine croissance en raison de l’absence d’encadrement de cette pratique. Ainsi David Laroche, l’une des stars françaises du coaching, dont les programmes d’accompagnement dépassent souvent les 2 000 €, a fait l’objet d’une trentaine de signalements auprès de la Miviludes. « Il fait des vidéos où il explique comment vivre, il vous donne une règle au quotidien, il vous dit que penser et que faire » déplore Pascale Duval.
Si les dérives sectaires en matière de santé et de développement personnel concentrent la majeure partie des signalements, les mouvements religieux ne sont pas en reste. À côté des désormais classiques Témoins de Jéhovah ou de la Scientologie, croit une galaxie d’Églises évangéliques d’inspiration américaine au sujet desquelles la Miviludes a reçu 383 saisines en 2019. Parmi les problèmes signalés figurent les exorcismes et les thérapies de conversion.
Le modèle classique de la secte coupée du monde perdure toujours, à l’image du groupe de musique féminin les Brigandes, vitrine d’une communauté ésotérique ouvertement xénophobe regroupant une vingtaine d’adultes et une douzaine d’enfants qui vivent repliés, dans un village de l’Hérault, autour de leur gourou Joël Labruyère.
Enfin à la frange de la mouvance sectaire, le survivalisme et le conspirationnisme font l’objet d’une surveillance accrue. Pour la première, en raison du meurtre de trois gendarmes par l’un de ses adeptes en décembre 2020. Pour la seconde, la vigilance se porte sur l’avancée des idées de QAnon en France. Si l’on ne peut pas parler de secte à son sujet, ce mouvement en possède néanmoins certaines caractéristiques, comme la rupture avec l’entourage proche.
L’entourage est en grande majorité le premier à s’inquiéter de l’emprise d’un proche et à opérer un signalement auprès des structures d’aide spécialisées. « Pour qu’on agisse il faut qu’il y ait des délits pénaux », rappelle Eric Berot : abus de faiblesse, infractions fiscales, exercice illégal de la médecine, mise en danger de la vie d’autrui. Mais ce sont les victimes directes qui doivent porter plainte et peu le font « par honte, ou car elles ne sont pas conscientes d’être sous emprise », explique-t-on au SCRCGN.
Eric Berot rappelle que tout un chacun a le droit de croire ce qu’il veut. Mais il souligne que les dérives sectaires, dont les caractéristiques sont « l’emprise, la déstabilisation mentale » et « le danger qu’elles représentent pour soi ou pour autrui. », peuvent amener des personnes à se ruiner financièrement, voire conduire à la mort pour certaines qui abandonnent la médecine conventionnelle.
(Source : Le Monde, 10.03.2021)