Les dangers du créationnisme dans l’éducation

1. L’objectif de la présente résolution n’est pas de mettre en doute ou de combattre une croyance – le droit à la liberté de croyance ne le permet pas. Le but est de mettre en garde devant certaines tendances à vouloir faire passer une croyance comme science. Il faut séparer la croyance de la science. Il ne s’agit pas d’antagonisme. Science et croyance doivent pouvoir coexister. Il ne s’agit pas d’opposer croyance à science, mais il faut empêcher que la croyance ne s’oppose à la science.

2. Pour certains, la création, reposant sur une conviction religieuse, donne un sens à la vie. Toutefois l’Assemblée parlementaire s’inquiète de l’influence néfaste que pourrait avoir la diffusion de thèses créationnistes au sein de nos systèmes éducatifs et de ses conséquences sur nos démocraties. Le créationnisme, si l’on n’y prend garde, peut être une menace pour les droits de l’homme qui sont au cœur des préoccupations du Conseil de l’Europe.

3. Le créationnisme, né de la négation de l’évolution des espèces par la sélection naturelle, est longtemps demeuré un phénomène presque exclusivement américain. Aujourd’hui, les thèses créationnistes tendent à s’exporter en Europe et leur diffusion touche un nombre non négligeable d’Etats membres du Conseil de l’Europe.

4. La cible première des créationnistes contemporains, essentiellement d’obédience chrétienne ou musulmane, est l’enseignement. Les créationnistes se battent pour que leurs thèses figurent dans les programmes scolaires scientifiques. Or, le créationnisme ne peut prétendre être une discipline scientifique.

5. Les créationnistes remettent en cause le caractère scientifique de certaines connaissances et présentent la théorie de l’évolution comme une interprétation parmi d’autres. Ils accusent les scientifiques de ne pas fournir de preuves suffisantes pour valider le caractère scientifique de la théorie de l’évolution. A contrario, les créationnistes défendent la scientificité de leurs propos. Tout ceci ne résiste pas à une analyse objective.

6. Nous sommes en présence d’une montée en puissance de modes de pensée qui remettent en question les connaissances établies sur la nature, l’évolution, nos origines, notre place dans l’univers.

7. Le risque est grand, en effet, que ne s’introduise dans l’esprit de nos enfants une grave confusion entre le registre des convictions, des croyances, des idéaux de tout type et le plan de la science. Une attitude « tout se vaut » peut être d’apparence sympathique et tolérante mais en réalité dangereuse.

8. Le créationnisme présente de multiples facettes contradictoires. L’«intelligent design» (dessein intelligent), dernière version plus nuancée du créationnisme, ne nie pas une certaine évolution. Cependant l’ »intelligent design », présenté de manière plus subtile, voudrait faire passer son approche comme scientifique et c’est là que réside le danger.

9. L’Assemblée a constamment affirmé que la Science faisait partie de ses fondements. La Science a permis une amélioration considérable des conditions de vie et de travail, et est un facteur non négligeable de développement économique, technologique et social. La théorie de l’évolution n’a rien d’une révélation, elle s’est construite à partir des faits.

10. Le créationnisme prétend à la rigueur scientifique. En réalité, les méthodes utilisées par les créationnistes sont de trois types : des affirmations purement dogmatiques, l’utilisation déformée de citations scientifiques illustrées parfois par de somptueuses photos et le recours à la caution de scientifiques de renom qui ne sont, la plupart du temps, pas spécialistes de ces questions. Par cette démarche, les créationnistes entendent séduire et distiller le doute et la perplexité dans les esprits des non-spécialistes.

11. L’évolution ne se réduit pas à la seule évolution de l’homme et des populations. Sa négation pourrait avoir de graves conséquences pour le développement de nos sociétés. Le progrès de la recherche médicale en vue de parvenir à lutter efficacement contre le développement de maladies infectieuses telles que le sida est impossible si l’on nie tout principe d’évolution. On ne peut pas avoir pleinement conscience des risques qu’implique le recul significatif de la biodiversité et le changement climatique si l’on ne comprend pas les mécanismes de l’évolution.

12. Notre modernité se construit sur une longue histoire qui passe notamment par le développement des sciences et des techniques. Cependant, la démarche scientifique reste encore mal comprise ce qui risque de profiter au développement de toutes formes d’intégrismes et d’extrémismes. Le refus de toute science constitue certainement l’une des menaces les plus redoutables qui planent au dessus des droits de l’homme et du citoyen.

13. Le combat mené contre la théorie de l’évolution et ses défenseurs émane le plus souvent d’extrémismes religieux proches de mouvements politiques d’extrême droite. Les mouvements créationnistes possèdent un réel pouvoir politique. En réalité, et ceci a été dénoncé à plusieurs reprises, certains tenants du créationnisme strict souhaitent remplacer la démocratie par la théocratie.

14. Tous les grands représentants des principales religions monothéistes ont une attitude beaucoup plus modérée, à l’instar du Pape Benoît XVI qui, comme son prédécesseur le Pape Jean-Paul II, salue aujourd’hui le rôle des sciences dans l’évolution de l’Humanité et reconnaît que la théorie de l’évolution est «plus qu’une hypothèse».

15. L’ensemble des phénomènes concernant l’enseignement des évolutions en tant que théorie scientifique fondamentale est donc essentiel pour l’avenir de nos sociétés et de nos démocraties. A ce titre, il doit figurer de façon centrale dans les programmes généraux d’enseignement, et notamment au cœur des programmes scientifiques, aussi longtemps qu’il résiste, comme toute autre théorie, à une critique scientifique rigoureuse. Du médecin qui, par l’abus de prescription d’antibiotiques, favorise l’apparition de bactéries résistantes, à l’agriculteur qui utilise inconsidérément des pesticides entraînant ainsi la mutation d’insectes sur lesquels les produits utilisés n’ont plus d’effet, l’évolution est partout présente.

16. L’importance de l’enseignement du fait culturel et religieux a déjà été soulevée par le Conseil de l’Europe. Les thèses créationnistes, comme toute approche théologique, peuvent éventuellement, dans le respect de la liberté d’expression et des croyances de chacun, être exposées dans le cadre d’un apprentissage renforcé du fait culturel et religieux mais elles ne peuvent prétendre à la scientificité.

17. La Science est une irremplaçable école de rigueur intellectuelle. Elle ne prétend pas au «pourquoi des choses» mais cherche à comprendre le «comment».

18. L’étude approfondie de l’influence grandissante des créationnistes montre que les discussions entre créationnisme et évolution vont bien au-delà de querelles d’intellectuels. Si nous n’y prenons garde, les valeurs qui sont l’essence même du Conseil de l’Europe, risquent d’être directement menacées par les intégristes du créationnisme. Il est du rôle des parlementaires du Conseil de réagir avant qu’il ne soit trop tard.

19. En conséquence, l’Assemblée parlementaire encourage les Etats membres et en particulier leurs instances éducatives :

19.1. à défendre et à promouvoir le savoir scientifique ;

19.2. à renforcer l’enseignement des fondements de la science, son histoire, son épistémologie et ses méthodes, aux côtés de l’enseignement de connaissances scientifiques objectives ;

19.3. à rendre la science plus compréhensive, plus attractive, plus proche des réalités du monde contemporain ;

19.4. à s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme en tant que discipline scientifique, au même titre que la théorie de l’évolution et en général à ce que des thèses créationnistes soient présentées dans tout cadre disciplinaire autre que celui de la religion ;

19.5. à promouvoir l’enseignement de l’évolution en tant que théorie scientifique fondamentale dans les programmes généraux d’enseignement.

20. L’Assemblée se félicite de ce que 27 académies des sciences d’Etats membres du Conseil de l’Europe aient signé, en juin 2006, une déclaration portant sur l’enseignement de l’évolution et appelle les académies des sciences qui ne l’ont pas encore fait à signer cette déclaration.