Ostéopathe des stars, Antonino Mercuri sous le coup d’une enquête de l’OCRVP

L’ostéopathe parisien Antonino Mercuri a été mis en examen en 2018 pour escroquerie, exercice illégal de la médecine, blanchiment d’argent et abus de faiblesse. Après une enquête de deux ans, les policiers de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) viennent de remettre au juge d’instruction un rapport détaillant la façon dont il aurait « mis sous emprise une cinquantaine de patients » en les menant à partir de soins ostéopathiques à des séances de méditation de son cru censées leur « transmettre la vie ». Six des victimes recensées se sont portées parties civiles.

Thomas Boutry et Jérémie Pham-Lé, journalistes au Parisien, se sont penchés sur l’affaire qu’ils détaillent dans un long article où quatre des parties civiles s’expriment pour la première fois publiquement sur l’affaire.

Issu d’un milieu modeste, Antonino Mercuri aurait, selon les enquêteurs de l’OCRVP, une soif de revanche sociale. Ces derniers décrivent un homme prétentieux, se vantant d’avoir des pouvoirs de guérison, qu’il aurait découverts à l’âge de douze ans, et prétendant avoir soigné François Mitterrand pendant dix ans, et Bill Clinton.

En activité depuis les années 1990, il a su réunir une patientèle nombreuse (environ 5000 personnes) qui inspire confiance, car elle compte des vedettes, une sénatrice, une présentatrice TV, des magistrats…

Antonino Mercuri sélectionne rigoureusement les patients qui accèdent à ses soins particuliers. Il sait repérer ceux qui sont réceptifs à ses enseignements, ceux qui manquent d’assurance et sont plus fragiles. Se présentant comme le seul en mesure de les aider à guérir leur mal être, il leur propose des séances de méditation « essence existentielle », une technique censée révéler en eux un être humain débarrassé de ses impuretés originelles. En sa qualité d’être incarné, lui seul avait le pouvoir de transmettre l’énergie nécessaire à leur éveil.

Mais ceux qui ont le « privilège » de se rapprocher de lui reçoivent des consignes, comme ne pas parler des séances à l’extérieur, afin qu’il ne soit pas taxé de gourou. Pour accentuer son emprise sur ses plus proches fidèles, il organise des stages à Saint Jean de Luz ou au Portugal au cours desquels il se fait désirer en jouant à cache-cache. Le retrouver est la récompense qui prouve une connexion directe avec le maître. Ceux qui n’y parviennent pas sont dévalorisés.

D’après le rapport l’emprise passait aussi par la nourriture. Il excluait certains adeptes des repas. Une femme en surpoids était régulièrement humiliée par des pesées publiques et devait attendre sur le pas de la porte avant d’être autorisée à passer à table. Il était tellement adulé qu’un adepte a même dépensé 4000 euros pour acheter une frite qu’il avait mise aux enchères. Des plats étaient spécialement conçus pour lui et parfois rejetés au prétexte de charges négatives dues à la mauvaise application de son enseignement par l’élève qui les avait préparés.

Tout puissant, Antonino Mercuri régissait la vie de ses adeptes. Tout devait passer par lui. La moindre question était perçue comme une « résistance ». Il brisait des couples, s’immisçait dans la vie de ses adeptes jusqu’à intervenir dans leur divorce. Certaines victimes se sont entièrement dédiées à Mercuri pour bénéficier de son énergie jusqu’à y perdre 20 à 30 ans de leur vie.

Les soins énergétiques d’Antonino Mercuri avaient un prix élevé. Une séance coûtait entre 120 et 240 euros, les stages plusieurs milliers d’euros. Il proposait aussi des forfaits de soins à distance dispensés par sms, ou même des stages à distance se connecter en méditant avec le gourou qui se trouvait au Portugal.

Au fil du temps, il étoffe ses activités avec des séances de coaching professionnel, des forfaits « full constance » promettant d’être connecté à lui toute l’année. Il impose aussi à certains des soins obligatoires. Un couple cité dans le dossier lui donnait jusqu’à 20 000 euros par mois sur les 25 000 qu’ils gagnaient mensuellement. Pour payer leurs soins des patients accumulaient plusieurs emplois.

Dans une toute puissance encouragée par l’adulation de ses fidèles, reconnaît l’une d’entre eux, il leur demande même de payer les charges des lieux où se déroulent les stages car ils doivent être reconnaissants envers lui d’avoir acheté des maisons pour les accueillir. Entrés dans une relation de redevabilité, ils règlent le loyer, cuisinent, font les travaux.

Plusieurs des plaignantes interrogées par Le Parisien ont quitté le giron de Mercuri pour des raisons financières. L’une n’étant plus en capacité de payer les soins a été rétrogradée du premier cercle d’adeptes vers le second réalisant alors qu’il était possible de vivre éloignée du gourou, tandis qu’une autre a ouvert les yeux lorsqu’il ne lui resta plus que son appartement à vendre. Une autre a quitté le groupe car au lieu d’être soignée, elle était poussée à chercher des solutions de paiement.

Lors de la perquisition effectuée chez lui en 2018, les policiers ont mis la main sur 5527 chèques dont plusieurs avaient été établis pour payer des soins en avance. Les enquêteurs ont découvert que 877 chèques avaient été remplis par la même patiente pour un montant total de 677 000 euros. Ils ont en outre trouvé une dizaine de montres offertes par des clients, dont la valeur avoisinait les deux millions d’euros. L’enquête de l’OCRVP a enfin révélé que l’homme détenait une cinquantaine de biens immobiliers, dont quarante en viager, et que ses soins lui auraient rapporté près de 12,5 millions d’euros entre 2012 et 2018. Après la perquisition, Mercuri a passé quatre mois en détention préventive. Libéré depuis, sous contrôle judiciaire, il conteste les charges portées contre lui et continue d’affirmer qu’il a un don. En dépit des plaintes, beaucoup de patients le soutiennent, comme son compagnon âgé de 23 ans de moins que lui. Mis en examen pour complicité, ce dernier avait été amené en consultation chez Mercuri à l’âge de treize ans. Attribuant sa guérison à l’ostéopathe, il ne l’a plus jamais quitté et s’est mis en couple avec lui dès sa majorité. Ceux qui faisaient partie de sa patientèle venue pour des soins « classique » ont produit des attestations pour faire part de leur satisfaction. Pour Olivier Morice, avocat de plusieurs parties civiles, c’est l’un des plus lourds dossiers qu’il ait eu à gérer. Selon lui, Antonino Mercuri « a travesti fondamentalement ce pour quoi les patientes étaient venues le voir. Elles « cherchaient des soins ou un recours sur le plan psychologique. En réalité, ce qu’elles ont vécu, c’est un assujettissement total de leur personnalité au bon vouloir du gourou avec un but : la captation de leur fortune ».

(Source : Le Parisien, 10.11.2020)

Antonino Mercuri a publié un droit de réponse dans le Parisien dans lequel il conteste le portrait que le journal fait de lui et des faits liés à l’enquête : « Je conteste les qualificatifs de « gourou » ou encore « mégalomane ». Il conteste également le montant des sommes citées par les enquêteurs et a demandé la réexploitation des scellés. Et ajoute : « La comparaison du faible nombre de parties civiles (6 personnes physiques) par rapport au nombre de mes patients (plusieurs milliers en 35 ans d’exercice professionnel) mérite d’être rappelée. »