Sortir du complotisme

Dans une série de trois articles, les Décodeurs du Monde ont tenté de dresser le portrait d’anciens complotistes, de comprendre leur sortie, les conséquences de celle-ci, les déclics ainsi que le rôle de certaines personnes.

Dans un premier article le journaliste des Décodeurs tente par le biais d’explications d’experts et d’anciens adeptes de comprendre comment les personnes peuvent devenir prisonnières d’un discours conspirationniste.

Marie Peltier, enseignante à l’Institut supérieur de pédagogie Galilée à Bruxelles, perçoit dans le complotisme une crise profonde de la société. Selon elle, la société peine à trouver un grand récit collectif fédérateur et le conspirationnisme va alors combler ce manque. En pleine crise sanitaire marquée par des inconnues et le manque de réponse à certaines interrogations, le complotisme va apporter un ensemble de réponses. Il semble difficile d’établir un profil-type du conspirationniste d’autant que chacun n’adhère pas à un même degré de complotisme. Ce qui semble certain c’est que son nombre a connu une forte hausse en 2020. Pour le youtubeur Samuel Buisseret qui combat ces théories les jeunes seraient de plus en plus méfiants car ils commencent à comprendre que les réseaux sont remplis de fake news. A l’opposé les plus âgés découvrent ce monde et sont plus vulnérables.

Un fait semble indéniable lorsqu’une personne adhère à des théories complotistes : argumenter avec elle ou lui présenter des articles de vérification s’avère n’avoir aucun effet sur ses croyances. Pour les spécialistes, il est difficile de s’extirper du confort que procurent les thèses conspirationnistes qui apportent une explication et une vision du monde par l’entremise de récits simples De plus, ainsi que l’explique Pascale Duval, porte-parole de l’Unadfi, le complotisme dans sa forme la plus extrême peut être comparé à une appartenance sectaire et plus l’emprise est importante plus les personnes croyants aux théories refouleront le doute. Les complotistes ont bien souvent l’impression d’avoir accès à des informations auxquelles le reste de la population n’a pas accès. Un témoin dans l’article du Monde explique : ils pensent faire partie « des esprits supérieurs ». En plus de ce sentiment de supériorité, les adeptes du complotisme se sentent reconnus dans la société et croient appartenir à un groupe social.

Dans son deuxième article Le Monde montre qu’un seul détail suffit parfois à faire douter et à mener les personnes à abandonner leurs croyances. Cependant ce processus comme dans l’emprise sectaire peut s’avérer relativement lent.

Un témoin passionné d’astronomie ayant adhéré à plusieurs théories complotistes raconte comment une vidéo remettant en cause le premier pas sur la lune a créé un doute en lui et l’a entrainé à vérifier l’intégralité des informations contenues dans les vidéos et lui a permis de trouver que ce qui était énoncé est faux. Un autre témoin qui adhérait aux thèses de Thierry Casasnovas sur les vertus de certains jus s’est aperçu que son discours sur les médicaments et la physiologie humaine n’était que du bluff et était truffé de mensonges. Il n’est pas rare que lorsque que les théories du complot se rapprochent des savoirs de la personne celle-ci commence à douter et un déclic s’opère à propos de leurs croyances. Cependant tout le monde ne possède pas des connaissances suffisantes pour pouvoir douter de manière raisonnable. C’est pourquoi le travail des zététiques peut s’avérer précieux. Un autre témoin raconte comment une discussion avec des sceptiques lui a fait prendre conscience de la fausseté de ses certitudes et de ses croyances. Bien souvent ces personnes réussissent à se défaire de leurs croyances car elles n’adhérent pas aux théories conspirationnistes les plus radicales.

Les complotistes se cachent derrière un esprit critique qu’ils seraient les seuls à posséder. Cependant ils n’appliquent quasiment jamais cette vision critique aux théories qu’ils suivent. Pour Sylvain Delouvée, maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Rennes-II, c’est lorsque qu’ils réussissent à se pencher de façon critique sur l’existence d’un complot que la désescalade et la sortie de ces théories deviennent possibles.

La sortie du complot ne peut pas pour autant se résumer à un simple déclic, l’émotionnel peut aussi jouer un rôle important. Des épisodes traumatiques peuvent influer dans la décision des personnes de remettre en cause les théories auxquelles elles avaient pourtant adhéré.

Enfin le troisième article aborde la sortie et les traumatismes que cela peut engendrer notamment au niveau de la confiance en soi. Les complotistes se coupent parfois de leurs familles et de leurs amis. Comme dans un mouvement sectaire cela rend la sortie encore plus difficile. Dans les nombreux témoignages d’ex-complotistes recueillis par Le Monde on constate un sentiment de désarroi, de rancune contre soi-même et de perte de confiance en soi. Les sortants peuvent alors se retrouver en plein doute et dans un état de vulnérabilité. Pascale Duval note que les anciens adeptes ont souvent envie de se terrer, de recoller les morceaux de cette période de leur vie ou bien ils souhaitent témoigner dans le but que cela n’arrive pas aux autres.

Sortir d’une certaine radicalité ou d’une croyance complotiste n’immunise pas forcément. Les individus souvent vulnérables peuvent très bien retomber dans ces théories. L’entourage peut alors jouer un rôle important pour aider les individus. Cependant cela s’avère difficile quand ils ont pris leurs distances avec leurs proches. Comme le confirme, Pascale Duval « L’attachement à la communauté, qui s’est parfois substituée à la famille, peut être un frein majeur à la sortie ». Comme le rappelle un ancien complotiste, le partage des théories conspirationnistes permet aussi pour un sentiment d’appartenance à un groupe, à une communauté et plus on est investi dans celle-ci plus il est difficile d’en sortir. Le youtubeur Debunker des Etoiles raconte la difficulté à sortir des théories du complot. Il explique l’importance d’avoir des amis non conspirationnistes pour retrouver des relations sociales. Il n’hésite pas à comparer cette démarche à celle de sortie d’une secte ou d’une religion.

Les proches ont donc leur importance pour soutenir les sortants. Ils doivent rester à leurs côtés et faire preuve de compréhension et de bienveillance
comme le rappelle Pascale Duval : « Le principal conseil, c’est de ne jamais couper le lien, pour que l’adepte ait conscience que quelqu’un est là pour l’attendre et lui pardonner. »

(Sources : Le Monde, 18.01.2021 & 19.01.2021 & 20.01.2021)

Lire l’intégralité des articles du Monde (avec abonnement) : 

« Je faisais partie des esprits supérieurs » : pourquoi le complotisme séduit autant : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/01/18/je-faisais-partie-des-esprits-superieurs-pourquoi-le-complotisme-seduit-autant_6066685_4355770.html

« J’ai été un abruti sans esprit critique » : l’imprévisible déclic de la sortie du complotisme : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/01/19/j-ai-ete-un-abruti-sans-esprit-critique-l-imprevisible-declic-de-la-sortie-du-complotisme_6066827_4355770.html

« On est très en colère contre soi-même » : la difficile épreuve de l’après complotisme https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/01/20/on-est-tres-en-colere-contre-soi-meme-la-difficile-epreuve-de-l-apres-complotisme_6066964_4355770.html

 

  • Auteur : Unadfi