Le Midi-Libre enquête sur les dérives sectaires en Occitanie

Boostés par la crise sanitaire, gourous et pseudo thérapeutes se sont répandus sur internet, touchant un public toujours plus nombreux. Originaires du Sud-Ouest, certains se sont particulièrement fait remarquer depuis un an. Outre un retour sur l’affaire Thierry Casasnovas, le Midi Libre dresse un panorama du phénomène sectaire en Occitanie dans une longue enquête publiée en ligne.

Regroupant articles et vidéos, le journal aborde plusieurs figures locales du sectarisme évoquées à travers les témoignages de victimes. Il donne aussi la parole à des experts comme Éric Bérot, patron de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (ORCVP), à l’avocat Jean-Baptiste Cesbron1 qui s’entretient sur l’affaire Casasnovas dans une vidéo de 14 minutes, et à Joséphine Cesbron2, présidente de l’UNADFI qui fait le point sur le phénomène sectaire dans une vidéo de 12 minutes.

À la une du dossier, un article est consacré à Thierry Casasnovas et à l’enquête ouverte à son encontre par le parquet de Perpignan. L’Union nationale de défense des victimes de sectes (Unadfi), vient de déposer plainte et de se porter partie civile dans l’affaire « pour des faits “d’abus de faiblesse”, “escroquerie” ou encore “exercice illégal de la médecine et de la pharmacie” et “mise en danger délibérée d’autrui” ». Le nombre des plaintes est confidentiel. Thierry Casasnovas se défend en affirmant qu’il n’a jamais rencontré ceux qui le dénoncent. Facile, pour celui qui a tissé sa toile essentiellement sur YouTube, mais dont l’influence est forte sur ceux qui boivent ses paroles. « Il n’a aucune compétence médicale et il est dangereux » prévient l’avocat Jean-Baptiste Cesbron3.

Pour Éric Bérot, chef de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), les gourous profitent du climat de peur engendré par la pandémie pour attirer des adeptes, d’abord par la flatterie, puis en les maintenant sous leur emprise par la culpabilisation. Les réseaux sociaux leur donnent l’opportunité de toucher plus de monde et de s’associer avec d’autres gourous leur permet de « mutualiser leur public pour faire plus d’audience ». Selon Éric Bérot on dénombrerait aujourd’hui en France près de 500 groupes sectaires touchant environ 340 000 personnes de toutes catégories socioprofessionnelles. Les signalements, en forte progression, concernent surtout les domaines du bien-être et de la santé.

Le complotisme est aussi un sujet de préoccupation avec la crainte que ses adeptes passent du discours aux actes, « du virtuel au réel », comme cela a été le cas aux Etats-Unis avec le Pizzagate4.

Cependant empêcher le passage à l’acte est difficile tant que les adeptes des théories complotistes n’en restent qu’aux mots, car « on ne peut travailler que sur le délictuel, les limites de la liberté d’expression », explique Éric Bérot.

Devant l’explosion du phénomène sectaire, la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a adopté une série de mesures pour relancer la lutte contre les dérives sectaires donnant entre-autres plus de moyens à la police judiciaire. Outre la Caimades (cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires) qui est dans le giron de l’OCRVP depuis de nombreuses années, 25 nouveaux référents au sein des directions zonales viennent d’être nommés.

Par ailleurs, on apprend dans le Midi-Libre que le ministère de l’Intérieur a demandé aux services de police, de la gendarmerie et du renseignement de dresser, avant fin juin 2021, un panorama exhaustif du paysage sectaire dans le département de l’Aude. En effet le département est connu pour attirer les fans d’ésotéro-occultisme, en particulier à Bugarach. Si le bilan n’est pas encore rendu, un groupe suscite d’ores et déjà l’inquiétude. Dénommé Nouvelle Terre de l’Aude5, il est dirigé par Sand et Jenaël, un couple qui dispense un enseignement ésotérique mêlant spiritualité, occultisme, références à des êtres provenant d’autres dimensions, jargon scientifique, thèses complotistes liées au Covid qu’il surnomme « coronacircus ».

Antivax, ces deux personnes encouragent la « capacité de chacun, par la foi, de se doter du don de guérison » car le « covid a été fabriqué pour prétexter une vaccination bloquant la progression de l’âme vers la quatrième densité ». Ils ont décidé de concrétiser leurs idées dans la fondation d’une école, Écoléo, dans laquelle des fidèles se retrouvent et s’organisent pour fonder une nouvelle société. La présence d’enfants et l’évolution de leur projet spirituel en projet politique inquiètent les autorités.

Trois victimes témoignent :

Pauline a retrouvé son frère pendu. Comptable tombé en dépression il avait eu recours à Simone C, une thérapeute héraultaise sans diplôme, qui l’a convaincu de se soigner puis de se former à la somatothérapie. Mais au lieu de l’aider la thérapeute a recruté ses deux enfants et gouverné toute leur existence, jusqu’au choix des pizzas ! Ayant arrêté son suivi psychiatrique et ses médicaments, il s’est enfoncé dans la maladie. Et peu de temps avant son suicide il a confié à Pauline : « c’est une gourou, ma sœur ! C’est comme une secte, je n’avais plus le temps de vous voir, ni mes amis, ni mes loisirs. C’est une pro du business du cerveau ». Arrêtée en 2018, Simone C a été mise en examen pour escroquerie et abus de faiblesse. La vingtaine de plaignants racontent tous la même chose : la thérapeute faisait et défaisait les couples à sa convenance, ses stages à répétition ont coûté à certains 14 000 euros par an. Le défunt avait dû vendre plusieurs bien immobiliers pour s’en sortir.

Le second témoin interrogé par le Midi-Libre, est une mère dont le fils, Patrick, a rompu tous liens avec elle depuis qu’il a été embrigadé par la « Déesse Na-Maat Osiris »6, une gourelle new age qui prospère sur internet via des vidéos dans lesquelles elle ne lésine pas sur les effets spéciaux, grâce à des sites proposant des formations, des bijoux et autres huiles protectrices.

Patrick, âgé d’une vingtaine d’années, a abandonné ses études du jour au lendemain, et après une ultime visite chez sa mère, lors de laquelle il l’a couverte de reproches, il a rejoint la gourelle et ses fidèles qui seraient installés dans la région de Barcelone.

Sa mère avait vu des signes avant-coureurs, changement d’alimentation, isolement, mal-être, mais elle était loin de se douter qu’il avait rejoint une secte. C’est finalement un neveu qui l’aiguillera sur l’Académie Raimbow. « Sur le moment, c’est terrifiant d’apprendre qu’il est dans une secte, mais c’est un soulagement, car vous mettez des mots sur l’incompréhensible » affirme-t-elle.

Dominique, troisième témoin, a quant à elle vu deux membres de sa famille lentement s’enfoncer dans la mouvance complotiste QAnon. Depuis un an, le sujet a pris tellement d’ampleur dans leur vie qu’il est devenu impossible de discuter. « Pour eux, tout le monde est naïf, ils sont persuadés d’être des patriotes et tant pis si ça passe par l’armée contre le pédo-satanisme ». Devenus anti-masque, anti-vaccins, anti 5G, ces deux cadres supérieurs, qui étaient pourtant bien intégrés, se préparent désormais à la guerre civile. « En fait, toute leur rhétorique est inversée : tout ce qui est officiel c’est une fake news », déplore Dominique.

Dans la région un complotiste fait parler de lui en diffusant son propre journal de 20h, d’abord sur YouTube, puis sur un autre site depuis qu’il a été banni de la plateforme. Sévissant depuis le Var, Antoine Cuttita, ancien conseiller commercial, est passé de l’UMP aux gilets jaunes puis à QAnon.

Cette mouvance inquiète en raison de son ampleur : Joséphine Cesbron, présidente de l’Unadfi, confirme une augmentation de 100 % des signalements sur le complotisme en 2020. 

(Source: Le Midi Libre, 23.05.2021)

Vidéos du Midi-Libre liées au dossier :

1-Thierry Casasnovas, le gourou Catalan du “cru” visé par une plainte, 12 minutes

Intervenant : Jean-Bastiste Cesbron, avocat : https://www.youtube.com/watch?v=t9K9UP-qDQw

2-Dérives sectaires, victimes, chiffres : la présidente de l’UNADFI fait un point sur la situation, 14 minutes

Intervenant : Joséphine Cesbron, présidente de l’Unadfi : https://www.youtube.com/watch?v=ww4tfJuQKIQ

3-Lire l’article sur Régénère page 19 des Actualités

4-Sur le Pizzagate, lire sur le site de l’Unadfi : Les dangers du complotisme, parole de victimes : https://www.unadfi.org/domaines-dinfiltration/internet-et-theories-du-complot/les-dangers-du-complotisme-parole-de-victimes/

5-Le groupe se réfère à Ramtha et Dialogue avec l’ange de Gitta Malaz

6-Aussi connue sous le nom de Auset Nefer, elle a constitué son groupe sur internet via plusieurs sites et chaînes YouTube.

Autre vidéo publiée par le Midi Libre :

QAnon : qui sont ces complotistes à la conquête de l’Europe ? 3 minutes : https://www.youtube.com/watch?v=gCsYuC_foJI 

 

  • Auteur : Unadfi