Ex-adepte, Grégoire Perra poursuit son combat

Si l’anthroposophie a pu être considérée comme un courant de pensée spiritualiste et proche de la nature (auquel ont adhéré le sociologue Edgar Morin ou encore  la ministre de la Culture Françoise Nyssen), certains dénoncent aujourd’hui le mouvement fondé par l’occultiste autrichien Rudolf Steiner. Ancien élève puis enseignant, Grégoire Perra parle des dérives d’une nébuleuse ésotérique qui, entre ses différentes ramifications (écoles Steiner Waldorf, biodynamie, marque Weleda…), exerce son influence dans des domaines aussi variés que l’éducation, l’agriculture, la santé, ou la finance.

Grégoire Perra a été scolarisé dans une école Steiner-Waldorf à l’âge de 9 ans. Ses parents pensaient qu’il s’agissait d’une simple pédagogie alternative comme Montessori, se souvient-il. Ce n’est qu’au lycée que l’adolescent entend pour la première fois le mot anthroposophie. Mais, selon lui, les élèves sont, dans ces établissements, sensibilisés dès leur plus jeune âge aux préceptes ésotériques de Steiner. A 15 ans, il fait un stage de biodynamie, méthode agricole là encore basée sur des intuitions du polygraphe Steiner.

Il commence à lire des ouvrages de Steiner et y découvre, dit-il « des histoires de karma, de réincarnation terrestre, de corps éthérique ou astral ». En en terminale, on lui conseille de suivre des cours de philosophie religieuse organisés en parallèle par la Communauté des chrétiens.

A 25 ans, Grégoire Perra devient membre de la Société anthroposophique. Ce bon élève veut démontrer, dans sa thèse, que la vision du cosmos de Shakespeare et Goethe, deux références importantes pour les anthroposophes, rejoint celle de Steiner. Il enseigne la philosophie à la fois dans un lycée public et dans une école Steiner-Waldorf. Le jeune homme prend alors conscience « des dysfonctionnements dans cette dernière » , explique-t-il avec du recul. En dépit d’une pratique assidue des exercices préconisés par Rudolf Steiner, il n’arrive pas à devenir « clairvoyant », état censé permettre la connaissance des « mondes supérieurs ». Réalisant que « les textes de Steiner ne tiennent pas la route sur le plan épistémologique » Grégoire Perra commence  à émettre des critiques en interne.

Procès et menaces

Après avoir démissionné de la Société anthroposophique, il raconte son expérience en 2011, dans un témoignage publié sur le site de l’Unadfi. Il veut alerter sur ce qu’il considère être un « endoctrinement à l’anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf ». Ceci lui vaudra un premier procès, qu’il remportera. En réaction, l’ex-anthroposophe crée en 2013 le blog La Vérité sur les écoles Steiner-Waldorf. « Il n’était pas normal qu’ils tentent de me bâillonner ». Peu à peu, le blogueur récolte les témoignages d’autres personnes se disant « victimes de la mouvance » et voulant dévoiler  au grand public « à quel point la pensée de Rudolf Steiner repose sur des notions délirantes ». Ce travail vaut à l’ex-anthroposophe des procès, des menaces et même des accusations d’attouchement sur une ancienne élève (sans qu’aucune plainte ne soit déposée). « Des personnes sont intervenues jusque sur mon lieu de travail », souligne-t-il.

Récemment, le tribunal judiciaire d’Evreux a condamné pour diffamation l’un de ses principaux détracteurs, Nicolas Tavernier, président de l’Association nationale pour la promotion et l’avenir de la pédagogie Steiner-Waldorf (ANPAPS). Et la couverture médiatique de l’anthroposophie semble se faire plus critique. En 2018, une enquête fouillée du Monde diplomatique, suivie d’une émission de la chaîne YouTube La Tronche en biais, donne la parole à d ’autres personnalités, comme le docteur en microbiologie Cyril Gambari ou le sociologue Valéry Rasplus, qui dénoncent les fondements pseudoscientifiques de la biodynamie. Lors de la pandémie du Covid-19, les convictions antivax et complotistes de figures de l’anthroposophie ont été mises au  jour. Sous l’impulsion de la Miviludes, les fermetures et les rappels à l’ordre à l’encontre des écoles Steiner-Waldorf se multiplient.  

(Source : L’Express, 18.08.2024)

  • Auteur : Unadfi