Des sœurs sous emprise

Charlie Hebdo a recueilli des témoignages de membres des Sœurs de Bethléem ou de leurs proches. Ils dénoncent de nombreux abus psychologiques au sein de cette communauté catholique. Le journal a consulté des documents internes du groupe, dont les règles semblent favoriser la mise sous emprise. Si des changements ont été annoncés, les abus psychologiques sont encore légion.

La communauté regroupe 550 religieuses pour environ 30 monastères en France et à l’étranger. Les religieuses vivent coupées du monde et doivent une allégeance et une soumission totale à leur prieure (la responsable du monastère). La vie des monastères est régie par les 800 règles de vie de Bethléem. Les prieures peuvent lire les cahiers des pensées que doivent rédiger quotidiennement les sœurs à l’intention de la Vierge Marie. Ces pensées sont souvent utilisées contre elles. Dans le règlement on trouve l’origine de la totale soumission des religieuses, on peut y lire que le membre doit renoncer « à discerner par lui-même ce qui lui convient », et que le prieur tient « la place du Christ ». La prieure exerce une emprise sur les adeptes et doit être au courant de tout comme c’est le cas lors d’une cérémonie hebdomadaire appelée le « chapitre du coulpe » durant laquelle les sœurs avouent les fautes qu’elles ont commises. Une ex-adepte se rappelle : « à Bethléem, le chapitre est là pour te détruire. Tu es allongée par terre devant la prieure, qui te noie de reproches, et tu n’as pas le droit de te lever tant qu’elle ne t’y autorise pas, après lui avoir embrassé les pieds ». Les sœurs n’ont pas le droit de communiquer entre elles sous peine de sanction. Les promenades se déroulent à plus de deux. La communication internet ou avec l’extérieur est contrôlée. Les communications avec les proches sont limitées et contrôlées ainsi que les visites des proches. Les rencontres ne peuvent avoir lieu qu’en présence d’une religieuse. Une ex-sœur raconte avoir dû réécrire une lettre destinée à ses proches car elle était trop « affective ».

Les témoignages édifiants des ex-membres montrent aussi de nombreux cas de dépression et de prise d’antidépresseurs prescrits par des sœurs médecins. Un psychothérapeute qui accompagne aujourd’hui de nombreuses ex-adeptes raconte que « Bethléem est la communauté catholique qui détruit le plus en profondeur sur les plans mental et psychologique, car les sœurs ne sont plus capables de penser par elles-mêmes ».

Le groupe a déjà fait l’objet d’une enquête du Vatican à la suite d’un grand nombre de témoignages faisant état de dérives. Bethléem a alors choisi de reconnaître des abus d’autorité et de conscience et instauré la mise en place de nouvelles règles de vie avec notamment « la possibilité d’un accompagnement autre que celui de la prieure » ou le recours à des « professionnels spécialistes pour les questions de santé ». Une cellule d’écoute a été instaurée, mais elle n’aurait pas eu l’effet escompté car les responsables demandent les noms des sœurs qui parlent, instituant alors un véritable climat de peur. Au niveau des règles le cahier à la Vierge a disparu et la relecture du courrier n’est dans les faits plus effectuée mais les sœurs ne peuvent toujours pas communiquer entre elles. Les témoignages récents abondent dans le sens d’une modification de façade et d’un coup de communication car dans les monastères les abus se perpétuent et les religieuses continuent de souffrir en silence.

Les choses pourraient évoluer, le groupe a été plusieurs fois signalé à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans les deux dernières années et la Commission reconnaissance et réparation (CRR) pour les victimes d’abus sexuels commis par des religieux a été saisie pour un signalement d’abus sexuel commis dans les années 1960. En 2021, la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France a signalé au procureur des cas de maltraitances psychiques après avoir reçu des témoignages « graves médicalement parlant. »

(Source : Charlie Hebdo, 10.05.2023)

  • Auteur : Unadfi