L’entreprise du bonheur au coeur d’une enquête de la chaîne espagnole La Sexta

Une enquête d’Equipo investigaçion, diffusée mi-février sur la chaîne espagnole La Sexta, s’est penchée sur le lucratif marché du développement personnel. Intitulée L’entreprise du bonheur, l’émission, comprenant plusieurs reportages, a démontré que, malgré leur succès, les livres d’auto-assistance pouvaient se révéler dangereux, tout comme les gourous en vogue en Espagne auxquels cet engouement profite bien davantage qu’à ceux qui paient pour acheter leurs recettes miracles. L’enquête a également dévoilé que certains ateliers de méditation pouvaient cacher des sectes comme Brahma Kumaris.

La vente de livres d’auto-assistance augmente de 20% chaque année en Espagne. Des ouvrages, comme Le secret et les fantasmes qu’ils véhiculent peuvent causer du tort. « L’idée que tout peut être réalisé sans limites, par la seule force de son esprit est irréelle et dangereuse » prévient Vicente Baos, professeur d’université et auteur. Pour lui la loi d’attraction, clé du succès du Secret, n’existe pas. « Ecrits par n’importe quel expert auto-proclamés », « tous [ces livres] sont fabriqués de la même manière, les mêmes bases se répètent, avec les mêmes idées et les mêmes exemples » explique-t- il. « Les types de messages qu’ils transmettent sont, un peu comme dans l’horoscope, valables pour tout le monde ».

L’un des plus gros vendeurs d’ouvrages de développement personnel espagnol, Laín García Calvo, est un ancien nageur reconverti en gourou du bien-être. Son bestseller, « La Voz de tu alma » (La voix de ton âme), est le manuel d’auto-assistance en espagnol le plus lu dans le monde. Mais ses livres ne sont pas sa seule source de revenus. On peut trouver sur son site des billets pour ses séminaires, quatre parfums censés attirer les souhaits, une bouteille d’eau miraculeuse qui se recharge au soleil et son produit phare, un pendentif qui contribue à accroître la foi, vendu au prix de 55 euros.

C’est une activité lucrative, en effet, 100 000 personnes visitent sa boutique chaque mois et au cours des six derniers mois le nombre de visiteurs achetant sur son site s’est fortement accru.

Selon Juan Merodio, un expert en marketing digital, le gourou utilise tous les arguments commerciaux en vogue sur internet. Il vante ses succès en affaires et s’appuie sur des témoignages de clients vantant les bienfaits de sa méthode pour changer de vie.

Critique, la psychologue Margarita Barranco déclare que les enseignements du gourou puisent leur inspiration dans la Bible, la psychologie, la spiritualité new age et dans des livres d’auto-assistance, qu’il a peut-être lus… Elle lui reproche sa théorie selon laquelle le passé est toujours mauvais. D’après elle, renforcer beaucoup le négatif a pour but de laisser penser à ses fidèles que le positif vient forcément de son enseignement. D’après lui on « décide d’être malade ou en bonne santé ». Mais « il y a certaines maladies qui ne guérissent pas sans médicaments » s’insurge Margarité Barranco ajoutant que « ce n’est pas un professionnel de la santé ! ».

Le programme de La Sexta dévoile également l’histoire d’Antonio Moll, un homme d’affaires reconverti en leader spirituel new age, poursuivi par le parquet de Madrid pour fraude, ce qui ne l’empêche cependant pas de poursuivre son activité de mentor.

En 2017, des centaines de personnes ont payé jusqu’à 900 euros un billet pour assister au plus important événement de développement personnel d’Europe. Baptisé Being One, il devait réunir des figures du new age telles que Greg Braden, Neale Donald Walsch, Mooji, Miguel Ruiz…Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu pour l’organisateur Antonio Moll. Les participants ont attendu plusieurs heures devant la salle car certaines têtes d’affiches payées 40 000 euros de l’heure refusaient de travailler sans être payées à l’avance.

Quatre heures plus tard, l’organisateur a fait une apparition, heure à laquelle plusieurs orateurs annoncés étaient déjà partis.

Manuel Concha un homme qui travaillait pour Antonio Moll s’est plaint de ne pas avoir été payé pour trois mois de travail effectué sur l’organisation de l’événement. Mais lorsqu’il a demandé son dû, le gourou lui a répondu qu’il devait « méditer dessus avec l’univers ».

Il apprendra plus tard que tous les employés embauchés pour préparer la conférence avaient des problèmes de non-paiement. « La restauration, la traduction simultanée, le montage sonore, les monteurs de stand, tous ont eu des problèmes de rétribution ». Pourtant des milliers de billets ont été vendus jusqu’à 900 euros pièce.

L’enquête de la Sexta a également porté sur la mode de la méditation. L’émission dévoile que le gouvernement espagnol a dépensé 167 000 euros au cours des trois dernières années pour payer des cours de méditation aux fonctionnaires et 200 écoles proposent des séances aux élèves. Mais si des experts vantent la méthode à l’école, car elle favoriserait l’apprentissage, les journalistes ont aussi mis en évidence son utilisation par des sectes qui s’en servent comme appât pour recruter de nouveaux fidèles.

Une simple recherche sur la pleine conscience sur Google a mené les journalistes à des vidéos promettant de régler des problèmes de stress et d’anxiété qui dissimulaient le mouvement hindouiste Brahma Kumaris1. L’organisation, fondée en Inde, qui compte plus de 8 500 centres de méditation dans 100 pays, n’est pas sans poser des problèmes. Un ancien membre raconte avoir vu des familles dispersées à cause du groupe, tandis qu’un autre explique que « tous les biens et comptes bancaires passent entre les mains de l’organisation. »

Le psychologue Miguel Perlado connaît bien le fonctionnement de l’Université spirituelle mondiale Brahma Kumaris. Fort de vingt années d’expériences dans l’aide aux victimes de sectes, il a suivi plusieurs fois d’anciens membres du groupe ou des proches d’adeptes. Il a constaté chez eux « des problèmes d’anxiété, de dépression, d’insécurité et surtout une déconnexion de leur propre identité et des souffrances importantes. »

Il affirme que « Brahma Kumaris est une organisation qui se présente sous une pratique et un discours apparemment hindous, mais qui est proche du fonctionnement d’une secte ».

(Source : La Sexta, 20.02.2021)

1. Lire sur le site de l’Unadfi un témoignage très complet sur Brahma Kumaris, De la méditation à la capture de l’âme : les Brahma Kumaris : https://www.unadfi.org/non-classe/de-la-meditation-a-la-capture-de-l-ame-les-brahma-kumaris/

 

 

  • Auteur : Unadfi