L’endométriose, exploitée par les mouvements sectaires

Deux millions de femmes en France sont atteintes d’endométriose. Cette maladie provoque des douleurs intenses et est la première cause d’infertilité dans le pays. Face à l’impuissance de la médecine, certaines de ces femmes se tournent vers des pratiques de soins non conventionnelles, dont on sait qu’elles sont une porte d’entrée pour les mouvements sectaires.

En 2019 l’épidémiologiste Marina Kvaskoff a lancé l’étude ComPaRe-Endométriose, dont l’analyse préliminaire indique que 80% des femmes atteintes d’endométriose et ayant répondu à l’enquête ont eu recours au moins une fois à une pratique de soin non conventionnelle. Si certaines de ces pratiques, comme l’acupuncture, l’ostéopathie ou le yoga sont autorisées par la Haute Autorité de Santé et même, dans certains hôpitaux, intégrées dans le projet thérapeutique des patientes atteintes d’endométriose, la Haute Autorité souligne que les patientes ne peuvent pas utiliser ces PSNC comme substituts à leur traitement médical, et qu’elles doivent informer leur médecin de tout recours à une de ces thérapeutiques. 

Dans son rapport d’activité 2021, la Miviludes a insisté sur la spécificité que présente le profil des femmes atteintes d’endométriose, cibles de choix pour les gourous-guérisseurs : en tant que personne souffrant d’une maladie méconnue, qui provoque des douleurs aigües et dont le diagnostic reste très tardif, ces femmes sont exposées à la fois à la dérive thérapeutique et à la dérive sectaire.

La cellule investigation de Radio France a pu intégrer certains groupes formés sur les réseaux sociaux, des groupes suivis par des milliers de personnes et à la tête desquels se trouvent des naturopathes ou des personnes se présentant comme spécialistes de l’endométriose. Au-delà d’être des espaces d’échange et d’entraide, ces groupes existent essentiellement pour proposer des services : consultations, accompagnements et réunions intitulées « prendre soin du féminin », « coach bien-être endo » ou « transforme ta vie grâce à l’endométriose ». Se faisant passer pour une malade, une journaliste a pu entrer en contact avec une naturopathe qui proposait un accompagnement afin d’aider les femmes « à mieux vivre avec leur endométriose ». Dès le premier échange, la naturopathe tente de persuader la journaliste infiltrée de choisir la formule la plus onéreuse pour son suivi, arguant que cela fait « déjà partie du travail intérieur que d’aller trouver une somme d’argent ». Puis elle lui énonce les raisons pour laquelle la maladie s’est déclarée : « La maladie peut s’installer pour plein de raisons au sein des membres d’une famille. Tu es celle qui vient révéler un dysfonctionnement dans la lignée de femmes. La vie t’a chargée de résoudre ce problème. ». La naturopathe considère également l’endométriose comme moyen pour la féminité de s’affirmer, cette maladie se déclarant « dans la sphère la plus féminine qui soit. »

Ces deux arguments surfent sur la pratique en vogue de la psychogénéalogie, une pseudo-science selon laquelle on peut trouver dans son histoire familiale des traumatismes ou des événements qui expliqueraient pourquoi on souffre de certaines maladies ou troubles ; et sur la théorie du « féminin sacré », un concept de développement personnel selon lequel les femmes ont une nature divine à laquelle il est souhaitable qu’elles se reconnectent.

Le dernier rapport de la Miviludes indique, pour la deuxième année consécutive, que les stages de « féminin sacré » présentent des risques de dérives thérapeutiques et sectaires : « une vigilance s’impose. En effet, il est recommandé que le dépôt de la parole liée à un événement traumatique se fasse auprès d’un professionnel qui saura assurer l’écoute et l’accompagnement de la personne. Or, durant ces stages, il est affirmé que si une femme a des règles douloureuses, c’est qu’elle n’est pas ‘en accord avec sa nature profonde de femme’. En d’autres termes, elle serait responsable de cette souffrance. »

Toujours selon ce rapport, le féminin sacré en tant que mouvance est un phénomène « lucratif » et « en pleine expansion ».

Frédérique Pernotte, sage-femme et coordinatrice du réseau de professionnels de l’endométriose Rsendo, n’est pas surprise outre-mesure par l’essor de ce type de stage : « pendant deux heures, ces femmes sont écoutées après plusieurs années à ne pas l’avoir été par le personnel médical ou autre. Evidemment que ça fonctionne. » Cependant, le discours qui consiste à culpabiliser la femme malade reste dangereux, et elle rappelle que “souffrir d’endométriose n’est la faute de personne. Ni de la femme atteinte, ni de la mère ou la grand-mère, ni d’un jumeau à qui on aurait pris une place”.

À écouter sur France Inter :

Les gourous de l’endométriose ou comment exploiter la douleur des femmes

À visionner :  entretien avec les journalistes Laetitia Cherel et Manon Vautier-Chollet, de la cellule investigation de Radio France : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-05-novembre-2022-8957180 

(Sources : francebleu.fr, 4.11.2022 & tf1info.fr & huffingtonpost.fr, 18.11.2022 & terrafemina.com, 21.11.2022, neonmag.fr, 23.11.2022)

  • Auteur : Unadfi