Tirer les leçons du passé

Les leçons tirées de l’étude des cultes apocalyptiques des années 1970 pourraient-elles être utiles dans la prévention du recrutement par Daech ? C’est la question que se sont posée le New York Times et Retro Report, dans un article et une vidéo mis en ligne le 5 novembre 2017.

Charles Strozier, directeur du centre sur le terrorisme du John Jay College, explique que certains jeunes hommes, en fonction du contexte dans lequel ils vivent, peuvent développer un sentiment de rejet face à la société s’ils se sentent isolés, délaissés ou injustement traités par celle-ci. Ils deviennent ainsi des proies faciles pour l’État islamique qui va user d’une rhétorique manichéenne tournant autour de l’opposition bons/méchants, justice/injustice et de raccourcis simplificateurs les amenant à penser que les choses qui ne vont pas dans le monde et dans leur vie sont intimement liées. C’est ce type de pensée et la propagande diffusée sur Internet qui ont convaincu, en 2015, neuf habitants de Minneapolis d’origine somalienne, de partir en Syrie. Ils ont été arrêtés et emprisonnés par le FBI. Interrogée par Retro Report, la mère d’Abdirizak Warsame, l’un des jeunes hommes radicalisés, a déclaré que son fils avait été peu à peu endoctriné par des vidéos de propagande qui l’avaient persuadé que l’accès au paradis pour lui et sa famille passait obligatoirement par un voyage en Syrie.

Faisant le parallèle avec l’endoctrinent sectaire, Leslie Wagner-Wilson, ex-adepte du Temple du Peuple, explique que l’on n’entre pas volontairement dans une secte, mais on se fait recruter, souvent dans une période de vulnérabilité. En ce qui la concerne, elle voulait sortir sa soeur de la drogue. Elle a cru en l’utopie socialiste de Jim Jones, celui qui prétendait être la réincarnation de Lénine et de Dieu. Il apparaissait comme le défenseur des minorités et le moralisateur d’une société dans laquelle il promettait de bannir la pauvreté, l’injustice et la guerre. En 1977, pour fuir ses détracteurs, il convainc 2 000 adeptes de tout laisser pour fonder une communauté à Guyana. Très rapidement, les adeptes ont déchanté et la paranoïa du gourou n’a fait que croître. Sa tactique pour les maintenir dans la peur fut d’exagérer l’idée d’une persécution extérieure en faisant tirer des coups de feu dans la forêt et, quand un groupe d’officiels américains est venu pour enquêter sur des soupçons d’abus, Jones a ordonné à ses adeptes de les attaquer, puis les a persuadés de commettre, selon ses propres dires, un « suicide révolutionnaire » en buvant une boisson empoisonnée.

Pour Charles Strozier, il existe de nombreuses similitudes entre le leader d’Isis, Al-Baghdadi, et Jones. Comme Jones il se prétend issu d’un héritage divin, il pousse ses adeptes au sacrifice dans une guerre sainte contre l’Occident. Il ajoute que tous les groupes extrémistes qui se tournent vers la violence sont animés par l’espoir de l’ultime rédemption par le martyre. Comme ailleurs dans le monde, l’État américain tente de mettre au point des programmes de « déradicalisation ». Ainsi, la cour de District du Minnesota a fait appel à Daniel Koeber, fondateur de l’institut allemand d’étude de la radicalisation et de « déradicalisation » de Berlin. Ce dernier explique que la « déradicalisation » doit obligatoirement passer de l’abandon d’une pensée unique et simplificatrice à l’adoption d’une pensée élargie et d’un point de vue ouvert sur le monde. Il est également indispensable de faire comprendre qu’il n’y a pas de réponse facile aux problèmes individuels. Il faut exploiter leurs centres d’intérêt, les amener à percevoir qu’ils peuvent être plus utiles à la communauté musulmane qu’aux terroristes.

Il faut trouver le déclencheur qui les fera sortir du groupe. Pour Leslie Wagner-Wilson, l’ex-adepte du Temple du Peuple, ce fut la peur de perdre son fils. Ayant émis ses doutes sur le fonctionnement du groupe dans une lettre interceptée par Jim Jones, elle fut soumise à une séance d’humiliation publique au cours de laquelle sa propre famille la traîna plus bas que terre pour avoir osé douter de Jones. Prenant son fils avec elle, elle s’enfuit du camp le jour même du massacre de 900 autres adeptes, dont les membres de sa famille.

(Source : New York Times, 05.11.2017)

Visionner la vidéo en anglais, sous-titrée en anglais : https://www.nytimes.com/video/us/100000005534679/isis-doomsday-cults-1970s.html?rref=collection%2Fcolumn%2Fretro-report