Yoga : plus qu’une tradition, un enjeu politique

Sous l’impulsion de Narendra Modi, l’ONU a déclaré le 21 juin « Journée internationale du yoga ». Une victoire pour le premier ministre indien qui, au-delà de la promotion de la santé et du bien-être, visait sans conteste une reconnaissance mondiale du nationalisme hindou.

21 juin 2015. L’image est puissante. Sur le grand boulevard de Rajpath, à New Delhi, le Premier ministre Narendra Modi est à genoux sur un tapis de yoga. Il guide une foule de 35 000 personnes à travers une séance de postures et d’étirements. Cette démonstration massive, organisée pour célébrer la première Journée internationale du yoga, marque un tournant. Pour Modi, le yoga n’est pas seulement une pratique physique, mais un symbole de l’unité spirituelle et culturelle de l’Inde. Il l’a d’ailleurs défendu vigoureusement à l’ONU, affirmant que « le yoga est un cadeau inestimable de notre tradition ancienne ».

Cette mise en avant du yoga est loin d’être anodine. En Inde, où les tensions religieuses et identitaires sont profondément ancrées, cette célébration va au-delà d’une simple promotion de la santé et du bien-être. Pour beaucoup, elle reflète une volonté de Modi et de son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), d’associer cette pratique à une identité hindoue majoritaire, au détriment des minorités religieuses. L’initiative rappelle la démarche de Swami Vivekananda, qui, dès 1893, lors du Parlement mondial des religions à Chicago, avait présenté l’hindouisme comme une religion universelle et tolérante, alors même que la notion d’hindouisme n’était pas encore solidement définie.

Aujourd’hui, sous l’impulsion de Modi, le yoga devient un outil de soft power. Au-delà de ses frontières, il sert à renforcer l’influence de l’Inde à l’international, tout en cultivant un sentiment de fierté nationale. En promouvant le yoga, Modi fait aussi la promotion d’une Inde traditionnelle, berceau d’une spiritualité ancestrale, qu’il cherche à exporter, notamment vers des pays d’Asie influencés par le bouddhisme.

Mais cette initiative est loin de faire l’unanimité. En Inde, les critiques craignent que cette insistance sur les racines hindoues du yoga ne mette en danger la laïcité du pays. Le yoga, présenté par Modi comme un « cadeau de notre ancienne tradition », est-il vraiment l’héritage de tous les Indiens ou seulement de la majorité hindoue ? Cette ambiguïté soulève des inquiétudes, notamment chez les musulmans, les chrétiens et les Dalits, qui craignent de se voir marginalisés.

Au programme des JO de 2036 ?

Derrière la célébration du yoga se profile ainsi une bataille idéologique. Pour Modi, cette ancienne pratique représente une manière de renforcer le nationalisme hindou, tout en adoucissant son image à l’international. Pour ses détracteurs, c’est une stratégie subtile visant à redéfinir les contours de l’identité indienne, en l’alignant davantage sur les valeurs hindoues.

Alors que Modi entre dans son troisième mandat, la question de la place du yoga dans la société indienne continue de faire débat. Certains États dirigés par le BJP cherchent même à rendre la pratique obligatoire dans les écoles, provoquant des protestations de la part des défenseurs des minorités et de la constitution laïque de l’Inde.

Modi souhaite désormais que le yoga soit inscrit au programme des Jeux olympiques de 2036, un projet qui pourrait diviser encore davantage. Dans un contexte de boom du bien-être, où le yoga est largement adopté en Occident pour ses vertus physiques et spirituelles, son instrumentalisation politique en Inde pourrait cristalliser des tensions religieuses et identitaires profondes. Une certitude : ce qui semble être une célébration de la tradition cache un enjeu bien plus complexe, où se mêlent culture, politique et religion. 

(Source : UnHerd, 05.09.2024)

A lire sur le site de l’Unadfi : Journée internationale du yoga : mise en garde de l’Unadfi : https://www.unadfi.org/actualites/actualites-et-communiques-de-lunadfi/communique-unadfi-2/

A lire sur le site de l’Unadfi : Alerte sur le yoga et ses dérives : https://www.unadfi.org/actualites/domaines-dinfiltration/sante-et-bien-etre/pratiques-hygienistes-et-traditionnelles/alerte-sur-le-yoga-et-ses-derives/

  • Auteur : Inde