Témoignage de l’écrivaine Bexy Cameron

L’écrivaine et réalisatrice Bexy Cameron a été élevée dans la secte des Enfants de Dieu. Elle s’en est enfuie à l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, elle raconte. Et montre que la réalité dépasse parfois la fiction.

« Mes parents ont rejoint les Enfants de Dieu au début des années 1970. C’était la révolution hippie. Beaucoup de gens voulaient changer le monde, vivre différemment. Ils ont rejoint une communauté à Bromley. D’une certaine manière, ils étaient complètement séparés de la société ; d’une autre, ils étaient dehors tous les jours, chantant et essayant de recruter de nouveaux membres. Dans Les Enfants de Dieu, les systèmes de croyances évoluent avec le temps. Ils changent en fonction de ce que pense le leader ce jour-là. À ma naissance, le leader était passé d’un discours sur l’amour libre et la paix à la création d’un environnement toxique et abusif, en particulier pour les enfants. Mes parents avaient rejoint un certain type de groupe, et mes onze frères et sœurs et moi sommes nés dans ce contexte ». Elle poursuit : « Comment les gens peuvent-ils devenir si insensibles au monde dans lequel ils vivent ? Dans le monde des sectes, on entend souvent cette analogie de la grenouille et de l’eau bouillante. Si vous mettez une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, elle sautera immédiatement. Mais si vous la mettez dans de l’eau froide et augmentez lentement la température… Eh bien, elle finira par bouillir et mourir ». Oui mais… « Quand vous naissez dans quelque chose qui est séparé de la société, c’est VOTRE normalité. Pour nous, c’était normal de grandir en pensant que nous étions des soldats pour l’Armageddon, que nous allions avoir des superpouvoirs et que nous allions mourir adolescents. Au milieu de cette culture bizarre, notre quotidien était pourtant banal et très difficile. Les enfants étaient la main-d’œuvre de la secte. Nous nous occupions des plus jeunes. Nous préparions chaque repas. Nous nettoyions la maison de fond en comble. Quand on vit dans une communauté de près de 90 personnes, cela représente beaucoup de travail. Nous étions la colle qui tenait l’édifice ».

Mais elle avoue : « Nous étions blessés, psychologiquement et physiquement. Nous étions isolés, parfois pendant des mois, privés de nourriture jusqu’à l’hallucination. On nous racontait que la fin du monde arriverait dans les sept prochaines années. Nous grandissions en croyant qu’aucun de nous n’atteindrait l’âge adulte, que nous avions une horloge au-dessus de nos têtes. Cela signifiait qu’il n’y avait aucun intérêt à aller à l’école. Vous n’aviez pas besoin d’apprendre quoi que ce soit en dehors de la parole de Dieu et celle du fondateur de la secte David Berg. Vous n’aviez pas besoin de vous préparer à devenir adulte, car vous ne le deviendriez jamais… On nous disait aussi que nous allions développer des super pouvoirs, ce qui est incroyable pour des enfants. Vous vous dites, waouh, la vie est peut-être vraiment horrible en ce moment, mais attendez que mes lasers se déclenchent et que je commence à tout faire exploser ! En matière de contrôle coercitif, l’une des meilleures choses à faire est de rendre quelqu’un aussi vulnérable que possible. Et quoi de plus vulnérable qu’un adolescent sans éducation et complètement impréparé au monde extérieur ? À cause de cela, beaucoup de filles qui partaient à l’adolescence se tournaient vers ce qu’on nous avait enseigné : le travail du sexe ».

Et puis, il y a eu un déclic : « J’ai commencé à me rendre compte que quelque chose n’allait pas quand nous avons été envoyés dans des camps pour adolescents Cela ressemblait aux méthodes utilisées pour briser les soldats en temps de guerre. L’autre grand tournant a été ma rencontre avec un journaliste du Guardian qui avait été autorisé à entrer dans la communauté des Enfants de Dieu. Nous étions entraînés à répondre aux questions sur notre bien-être, notre éducation et les enseignements de David Berg. Mais il nous parlait, à nous les enfants, comme jamais personne ne nous avait parlé auparavant… Comme si nous étions des êtres humains. Il nous a demandé ce que nous voulions devenir quand nous serions grands, une question qu’on ne nous avait jamais posée auparavant. Cela a commencé à me faire réfléchir… À l’époque, nous vivions dans un petit village qui avait deux pubs et un bureau de poste. J’ai commencé à sortir en cachette et à traîner avec les adolescents locaux pour comprendre leur mode de vie.

« Les adultes ont voté pour me chasser »

À 14 ans, je voulais désespérément m’échapper. J’ai rencontré un garçon de 18 ans qui m’a aidée à planifier ma fuite. J’ai secrètement trouvé un emploi pour économiser de l’argent. Quand vous êtes adolescent, vous pensez pouvoir faire ce genre de choses en cachette. Mais cela n’a pas duré longtemps avant que je me fasse attraper. Au lieu de pouvoir partir selon mes propres conditions, j’ai été excommuniée. Tous les adultes ont voté pour me chasser de la maison et, le lendemain, j’étais dehors. J’ai dû faire face à la réalité d’être une mineure dans le grand monde. C’était encore plus effrayant que je ne l’avais imaginé. J’ai dû apprendre à survivre et à mentir sur mon passé. La seule chose pour laquelle les Enfants de Dieu m’avaient préparée, c’était à travailler dur. Mais c’était difficile. Il y a eu des moments où nous n’avions pas assez d’argent pour manger. Il y a eu des moments où nous voulions dépenser le peu d’argent que nous avions pour acheter quelques canettes de bière et découvrir ce que c’était que de se saouler. C’était incroyable d’une certaine manière, car tout était nouveau. Mais tout était aussi terrifiant ».

Un retour en arrière ?  « Jamais ça n’a été une option pour moi. Pas après qu’on nous a menti pendant tant d’années. Une fois que vous partez, vous êtes considéré comme l’ennemi, vous avez un démon à l’intérieur de vous. Je n’étais autorisée à revenir voir mes frères et sœurs qu’une fois par an sous la supervision d’un chaperon. Maintenant, tout le monde est sorti, et c’est incroyable. Huit d’entre nous vivent à Londres, nous nous parlons tous les jours, et nous avons une relation fantastique. Les gens pensent que ceux d’entre nous qui ont grandi dans des sectes seront des personnes timides et effrayées par tout. D’après mon expérience, je pense le contraire, les enfants qui en sortent veulent tout essayer, ils ont déjà vécu le pire »… 

(Source : The Independent, 26.08.2024)

A voir, témoignage sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=RhLGNsBnoew A lire sur le site de l’Unadfi : Les Enfants de Dieu seront-ils jamais adultes ? : https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/les-enfants-de-dieu-seront-ils-jamais-adultes/

  • Auteur : Unadfi