Sois heureux et tais-toi

A vouloir absolument atteindre le bonheur et la perfection, ne risque-t-on pas plutôt de développer anxiété et complexes ? C’est la thèse de l’ouvrage Happycratie1, publié en 2018, qu’Eva Illouz, sociologue franco-israélienne, a coécrit avec Edgar Cabanas, docteur en psychologie. Le livre dessine le pont qui relie développement personnel, injonction au bonheur et morosité.

Happycratie est le premier ouvrage de critique sociologique à s’attaquer au développement personnel en tant qu’idéologie. Car ce qui se présente comme philosophie du bonheur se révèle être en réalité une industrie du bonheur, qui produit frustration et complexes chez les personnes qui s’y intéressent ou s’y consacrent, notamment chez les adolescents.

Cette industrie est décrite comme tyrannique, puisque la personne en quête du bonheur se retrouvera noyée sous les objectifs et les injonctions. Le néologisme « happycondriaques », formulé par les auteurs, vient caractériser ces personnes qui sans cesse cherchent à corriger leurs défauts, à s’améliorer toujours plus. Les rayons de librairie, envahis de guides et de méthodes pour atteindre l’épanouissement, profitent de cette idéologie florissante : c’est un marché qui rapporte.

Les auteurs notent également combien cette idéologie tient du narcissisme. La quête du bonheur, dans le cadre du développement personnel, ne peut servir que les intérêts de l’individu. Travailler dur, être résilient, fournir tous les efforts nécessaires : atteindre la perfection est une affaire de responsabilité personnelle. L’échec de l’autre est dès lors perçu comme une défaite qui lui incombe, et non plus comme le résultat de désavantages sociaux ou simplement comme propre à « la dimension tragique [de la] vie humaine ». Et c’est ainsi que, selon les auteurs du livre, le « rêve du néolibéralisme » est exaucé.

(Source : Le journal Toulousain, 05.10.2021)

Lire sur le site de l’Unadfi la note de lecture sur l’ouvrage d’Eva Illouz : https://www.unadfi.org/wp-content/uploads/2019/04/Happycratie-comment-l’industrie-du-bonheur-a-pris-le-contrôle-de-nos-vies.pdf

  • Auteur : Unadfi