Des programmes pour « regagner un pouvoir perdu » 

Sur les réseaux sociaux, une nouvelle vague de contenus émerge. Des influenceurs s’adressent exclusivement aux hommes en leur proposant des programmes de développement personnel. Sous des apparences bienveillantes se cache en fait un discours conspirationniste et antiféministe.

« Les hommes doivent se réinventer sous peine de disparition » décrypte Cécile Simmons, chercheuse à l’Institute for Strategic Dialogue. Ces vidéos sont apparues dans les années 2000 et ont gagné en popularité à l’ère post-Trump et après la pandémie. Le phénomène, qui a pris racines dans les pays anglo-saxons, repose sur une vision réductrice du développement personnel, dans laquelle la réinvention de soi est mise au service de la domination et de la compétition. Il s’agit d’un discours masculiniste qui exploite l’insécurité des hommes face aux évolutions sociétales.

La prolifération des vidéos d’influenceurs, comme celles de Stéphane Édouard, illustre cette tendance croissante détournant le développement personnel pour répondre aux prétendues menaces pesant sur les hommes. Ce coach en séduction, qui se présente comme sociologue et qui cumule plus de 400 000 abonnés, propose des programmes payants aux titres vagues, comme « vaincre sa timidité » ou « s’améliorer en général ». Son discours, souvent ponctué d’attaques sexistes et de propos politiques de droite dure, affirme que les hommes doivent se réinventer pour survivre dans un monde où, selon lui, leur rôle est menacé par les mouvements féministes et « woke ». En résumé : les hommes ne seraient plus les bénéficiaires des sociétés patriarcales mais en seraient les grands opprimés. « Le développement personnel est une étape intime de l’homme qui, confronté à lui-même, doit dépasser ses croyances », affirme Stéphane Édouard. Sa promesse : les hommes doivent optimiser leur corps, dominer les femmes et accumuler des richesses pour regagner leur pouvoir perdu. A l’ère #MeToo, ce discours résonne particulièrement auprès d’une audience masculine déboussolée par les bouleversements sociaux et économiques contemporains.

Un public en quête de repères

Le modèle repris par Stéphane Édouard est parfaitement huilé outre-Atlantique où des figures comme Andrew Tate ou Roosh V, anciens « pick-up artists », ont bâti des empires en ligne en mêlant misogynie, conseils financiers, exaltation de la virilité et mégalomanie puérile. Tate, par exemple, a gagné des milliards de vues sur TikTok et était, en 2022, la personnalité la plus recherchée sur Google malgré ses positions extrêmes et son implication dans des affaires criminelles ! Arnaqueur professionnel, accusé de traite d’êtres humains et de proxénétisme, il est aujourd’hui en détention en Roumanie. Ces influenceurs s’adressent à un public en quête de repères dans un monde qu’ils désignent comme hostile aux hommes. Ils véhiculent l’idée que les hommes doivent réagir à cette crise en s’engageant dans une course à l’optimisation de soi, une réponse simpliste et individualiste à des enjeux sociaux plus profonds. La recette est simple : des muscles, des femmes et de l’argent. Tout le reste, la collectivité, le bien commun ou la réflexion morale, est exclu de cette vision du développement personnel. Et ça marche. Le masculinisme se répand à grande vitesse dans les pays occidentaux l’insécurité sexuelle étant mise en miroir de l’insécurité économique que de plus en plus d’hommes ressentent dans les sociétés néolibérales atomisées et précarisées.

Des promesses illusoires

Et certains influenceurs n’hésitent pas à faire épisodiquement appel à des bribes de philosophie grecque et de pratiques ancestrales, du stoïcisme à la méditation, pour se donner un vernis de profondeur. Cependant si ces formations en développement personnel sonnent creux, c’est parce qu’elles le sont ! Aucun conseil offert par ces influenceurs n’a de substance. Les cours dispensés par Tate, comme l’ont montré des journalistes d’investigation qui ont infiltré sa communauté, offrent un mélange superficiel de conseils en musculation et en investissements de crypto-monnaies. L ’idée de la nécessité du développement personnel se suffit à elle-même, l’important pour les influenceurs étant surtout d’exploiter le filon pour empocher un maximum d’argent. Dans les sociétés contemporaines où les idéaux de progrès ont de moins en moins d’écho et où la croyance au changement politique se délite, il n’est pas surprenant que ces projets séduisent de plus en plus d’hommes : ils portent la promesse (illusoire) d’un contrôle sur son corps et son esprit, dans un monde qui semble hors de contrôle » conclut Cécile Simmons. 

(Source : Challenges, 18.10.2024)

A lire sur le site de l’Unadfi : Manking Project et le masculinisme sous les radars de la Miviludes : https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/mankind-project-et-le-masculinisme-sous-les-radars-de-la-miviludes/

  • Auteur : Unadfi