Dans son dernier rapport, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a exprimé des inquiétudes concernant l’organisation masculiniste Mankind Project (MKP).
Mankind Project est une association fondée aux Etats-Unis en 1984 qui propose des « aventures initiatiques » pour « nouveaux guerriers » lors de week-ends entre hommes avec un programme tenu secret. Ces week-ends durent trois jours, sont organisés environ dix fois par an et regroupent à chaque fois 36 hommes encadrés par une cinquantaine d’autres baptisés le « staff ». Selon le site internet le coût d’un week-end est de 550 euros par personnes.
La Croix a pu assister à une « soirée de retour » au Forum 104 à Paris, au cours de laquelle les membres français de MKP célèbrent leurs nouveaux frères qui viennent de suivre un stage. Ils semblent tous satisfaits et parlent d’une expérience qui a changé leur vie et leur a permis de trouver leur place parmi les autres hommes. Mais aucun ne parle du contenu du stage, le secret est bien gardé.
La Miviludes a reçu plusieurs saisines au sujet des pratiques qui se déroulent au sein de ces stages, notamment des « rites initiatiques où l’individu est poussé à ses limites ou se retrouve dans des situations déstabilisantes voire humiliantes ». Les témoignages reçus par la mission montrent des pratiques qui s’apparentent à de l’emprise mentale : coupure avec le monde extérieur, privation de sommeil et de nourriture, nudité pendant de longues heures même en cas de froid, séances de confessions publiques sur leur enfance, leurs relations familiales ou avec les femmes, et d’autres exercices jugés « attentatoires à la dignité des participants ». De son côté le « staff » semble avoir recours à la culpabilisation et l’intimidation. Les témoignages montrent aussi pour certains des ruptures avec l’entourage et des changements de discours et de comportements. Tous ces éléments peuvent être le signe d’une dérive sectaire.
MKP s’inscrit dans la mouvance masculiniste qui vise à « exacerber une représentation caricaturale de l’homme dominant », selon la Miviludes. Cette idéologie est souvent présentée comme une réaction à l’émancipation des femmes et au mouvement féministe. Pour Mélanie Gourarier, anthropologue, chercheuse au CNRS et autrice d’un livre sur les masculinistes, cette idéologie veut revenir dans un premier temps à une version viriliste de la masculinité et à une domination masculine « traditionnelle » et dans un autre temps à une version « progressiste et réformiste » qui « consiste à dire que les masculinités doivent se transformer, intégrer le progrès social et les luttes féministes ». La lutte contre la masculinité toxique est aujourd’hui valorisée et permet à ces hommes d’accaparer l’espace de parole. Mélanie Gourarier note que ces stages exaltent les émotions masculines et que ces réunions en non-mixité sont admises alors qu’elles sont très mal vues quand « elles concernent des femmes ou des personnes racisées ». Au-delà de MKP, de nombreux « coachs en séduction » ou youtubeurs masculinistes prospèrent et leur influence semblent grandissante. La Miviludes a reçu de nombreux signalements de parents inquiets de leur influence exercée sur des jeunes hommes entre 17 et 28 ans. Ces discours sont partagés et ont une audience grandissante sur l’ensemble des médias sociaux. Pour Marie Peltier, historienne et spécialiste du complotisme, les théories masculinistes donnent à penser que le féminisme est allé trop loin et a renversé les rapports de dominations. Elle constate que ces discours sont portés par de nombreux influenceurs d’extrême droite qui gagnent en visibilité en surfant sur des polémiques qui agitent le débat public et qu’ils sont de plus en plus relayés au-delà de l’extrême droite.
(Sources :TF1, 08.03.2023 & La Croix, 09.03.2023 & La Voix du Nord, 17.03.2023)