« Dieu exerce le gouvernement librement, en déléguant son autorité aux hommes, non aux femmes ». Cette phrase, institutionnalisant l’infériorité des femmes au sein de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX), figure, encore à ce jour, sur La Porte latine, le site internet officiel du groupe.
Alertés par plusieurs témoignages alarmants sur les conditions de vie des femmes au sein de la FSSPX, les journalistes Timothée de Rauglaudre et Jade Serrano ont donné la parole
à plusieurs victimes dans un long article paru sur le site de Néon le 21 décembre 2020.
La première victime à livrer son témoignage, Victoire, 32 ans, a été adoptée et élevée par un couple membre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. En 2009, à 20 ans, elle épouse un fidèle de la Fraternité qu’elle connaît depuis plusieurs années. Si le couple, qui aura six enfants, semble uni, Victoire vit un calvaire quotidien. Insultée, battue, elle n’a pas le droit de travailler ni de gérer l’argent du couple. Pourtant, elle ne porte pas plainte car le verrouillage psychologique de la communauté est tel qu’elle se sent coupable. Elle ouvrira les yeux sur cette situation grâce à la police qui saisit le parquet après que son mari lui ait cassé le sternum. Pourtant les violences qu’elle subissait n’étaient pas ignorées de son directeur de conscience, un abbé de la Fraternité. Mais ce dernier rejetait la faute sur elle, attribuant ses malheurs à son « héritage socioculturel lié à son adoption » et essayait à tout prix de préserver son couple en la convainquant de revenir chaque fois qu’elle était partie. Décelant chez elle des troubles bipolaires, il lui fera subir deux exorcismes. Victoire quitte le groupe avec ses six enfants suite à une ultime plainte portée en 2017 contre son mari, sa soeur, sa belle-sœur, son beau-frère et son directeur de conscience. Ces derniers l’avaient séquestrée pendant deux heures pour la convaincre de rester avec son époux. Son directeur de conscience a essayé de lui faire retirer sa plainte en lui proposant 15 000 euros, mais voyant que cela ne fonctionnait pas, il a essayé de la culpabiliser en la rendant responsable de la fausse couche de sa belle-sœur. Finalement lui et le mari de Victoire ont été interdits d’entrer en contact avec elle durant un an.
Solène, 30 ans, une autre ex-adepte, a grandi dans le groupe sous le joug d’un père autoritaire qui décidait de tout, même de ses fréquentations. Mécontent qu’elle envisage d’épouser un jeune homme, jugé pas assez bien pour la famille, il l’a fait séquestrer dans le couvent de Fangeau dont elle ne parviendra à sortir qu’au bout de cinq mois grâce à la famille de sa mère. Malgré le chantage au suicide de son père, elle a rompu définitivement les liens.
Ce n’est qu’au bout de plusieurs décennies que Marie, la troisième victime écoutée par les journalistes, a réussi à se soustraire de l’emprise de son mari et du groupe. Ses parents ayant rejoint la communauté alors qu’elle n’avait que 12 ans l’ont envoyée dans un pensionnat dont elle est sortie à l’âge de 15 ans pour travailler dans la ferme familiale souvent sans être payée et sans être déclarée. Sa soeur, qui aujourd’hui touche une maigre retraite malgré ses années de travail, explique : « On ne travaillait pas pour l’argent mais pour Dieu. ». Dans ce contexte, les jeunes filles ne sont pas encouragées à faire des études, « beaucoup sont considérées comme des futures mères de famille ou des religieuses » raconte Marie.
Toute sa vie est contrôlée. Pour ne pas être tentée par « l’esprit du monde », la musique moderne, considérée comme diabolique, est interdite. Mais le pire est, à l’âge de 20 ans, son mariage arrangé avec un autre membre du groupe. Ignorant tout des relations de couple et de la sexualité, elle ne réalise pas que ce qu’elle subit sexuellement est « à la limite de l’agression ou du viol ». Selon ce que Sybille, une autre ex-adepte, a lu dans un manuel du mouvement, qui décrit ce qui est autorisé dans le domaine sexuel, « la femme a interdiction de se refuser à son mari. ». D’après le document, intitulé « le sexe catholique », toutes les pratiques visant à éviter la conception sont considérées comme un péché contre nature. Marie mettra du temps à ouvrir les yeux sur son époux.
Outre les contraintes sexuelles, elle subit brimades et coups quotidiennement, jusqu’à finir à l’hôpital. La violence de son mari ne s’arrête pas à là, elle se porte aussi sur leurs fils. Sa fille Aurore se rappelle avoir dû essuyer sur le mur de la cuisine le sang de son frère âgé de quatre ans. Jusqu’à ce qu’elle quitte le groupe avec sa mère à l’âge de six ans, elle pensait cela normal : Après tout, ne lui enseignait-on pas à l’école que « Les hommes et les abbés sont des figures intouchables et les femmes, forcément pécheresses repenties grâce à leurs pairs masculins. »
Comme Victoire, Marie a rapporté les faits à son directeur de conscience qui l’a culpabilisée et l’a convaincue de rester auprès de son époux. Son médecin traitant, lui aussi membre du groupe, n’a signé que des attestations médicales favorables au mari. A bout, elle quitte son foyer en 2006 avec neuf de ses dix enfants. Mais aujourd’hui encore elle a des soucis car son mari a conservé tous leurs biens.
La Fraternité fondée en 1970 par l’évêque français Marcel Lefebvre, en opposition à la réforme de l’Église faisant suite au concile de Vatican II, est proche de l’extrême droite, en particulier de Civitas. Revendiquant son conservatisme, de nombreuses règles régissent la vie de ses adeptes et en particulier celle des femmes. N’ayant aucune autorité, elles sont prises au cœur d’un « système patriarcal de droit divin » qui justifie la violence par ses préceptes religieux. Elles sont placées sous l’autorité de leur père, de leur mari et de leur directeur de conscience, dont les conseils sont majoritairement favorables au mari, et ce quels que soient les actes qu’il ait pu commettre. Servante de l’homme, la femme se doit d’être modeste dans son attitude et ses tenues vestimentaires. Les jupes tombent en-dessous des genoux et les pantalons sont proscrits, tandis que les cheveux se doivent d’être attachés. A l’Église, les femmes doivent se couvrir la tête car n’ayant pas « d’autorité qui leur vienne de Dieu sinon par l’intermédiaire des hommes, les femmes doivent
se voiler en signe de dépendance sociale »1.
(Source : Néon, 12.2020)
1. Citation tirée du site officiel de la FSSPX