L’autrice Jodie Chapman a été élevée par des Témoins de Jéhovah. Une enfance et une adolescence formatées et surveillées. Elle a aujourd’hui pris ses distances avec la communauté grâce à la lecture de Margaret Atwood, Thomas Hardy ou encore George Orwell qui ont remis en question sa compréhension du monde.
« Les histoires ont toujours coulé dans mes veines » raconte Jodie Chapman. « Enfant Témoin, j’ai reçu un exemplaire de « Mon livre d’histoires bibliques », un gros livre jaune à couverture rigide. Dès que j’ai pu écouter, on m’a enseigné l’histoire d’Abraham, qui a failli tuer son fils après que Dieu, pour le tester, lui a ordonné de le faire. Puis il y avait la femme de Loth, qui a été transformée en sel pour avoir osé regarder en arrière vers le feu que Dieu faisait pleuvoir sur sa ville natale. Je n’ai jamais remis en question ces histoires ou leurs morales. On me les a enseignées en même temps que l’alphabet. Elles étaient ma version de la «normalité» ». Les divertissements étaient étroitement contrôlés. Tout ce qui avait trait aux fantômes ou aux sorcières était interdit. « Les pages de dessins de Noël à colorier étaient arrachées » se souvient Jodie Chapman. « Avec le recul, je peine à penser à des livres qui auraient été plus choquants que la Bible. Et pourtant, c’est un arbre avec des lumières colorées qui était considéré comme offensant ».
Malgré tout, la jeune fille a fréquenté une école classique, jusqu’à l’obtention du baccalauréat. « Après, on ne vous encourage pas à faire des études, on vous incite plutôt à consacrer votre temps à la prédication ». Mais « heureusement » concède-t-elle, « on me permettait de choisir mes propres livres ».
« Non, le rejet n’est pas une action aimante »
Alors un jour, à l’aube de ses 20 ans, il y a eu « 1984 » de George Orwell. Une révélation. « La manière dont « Le Parti » modifie les croyances et insiste pour que les adeptes acceptent ces changements sans discussion reflétait ma communauté. L’histoire de Winston, qui connaît la vérité et doit néanmoins se conformer pour sa propre survie, a ouvert une porte que je n’avais jamais osé toucher » confie-t-elle. Et puis elle a lu « La Servante écarlate » de Margaret Atwood. « Ça m’a ouvert les yeux sur le danger d’un patriarcat se positionnant comme bénéfique pour les femmes au nom de la religion. J’ai eu une réaction viscérale. J’avais déjà des doutes sur ma foi, ce livre les a amplifiés ». « Beloved » de Toni Morrison les a confortés. Jodie Chapman a ainsi réussi à prendre ses distances avec la communauté. Non sans souffrances, « parce que les fauteurs de trouble sont exclus et n’ont plus le droit d’avoir de contacts avec les autres membres, même ceux de leur famille » explique-t-elle. Là encore, la littérature a eu un rôle important. « Des classiques comme « Tess d’Urberville » de Thomas Hardy et « La saga des Forsyte » de John Galsworthy, qui mettent en scène des personnages exclus pour avoir prétendument enfreint les normes morales acceptées de leur époque, m’ont aidée à réaliser l’injustice d’une telle pratique. Dans ma communauté, le rejet était considéré comme une action aimante qui ramènerait à la raison celui qui s’est déshonoré. Non, ce n’est pas de l’amour ». Depuis, Josie Chapman s’est, à son tour, lancée dans l’écriture. Elle a publié deux romans, Une autre vie et Oh, Sister… Où se mêlent étroitement réalité et fiction.
(Source : The Guardian, 17.02.2024)