« Si les croyances portent le nom de théories, c’est bien parce qu’elles reposent sur des preuves incohérentes, voire falsifiées ». Mais pourquoi certains y adhèrent-ils ? Des chercheurs décortiquent le processus.
Pascal Wagner-Egger, enseignant-chercheur en psychologie à l’université de Fribourg, estime que quatre biais cognitifs peuvent nous éloigner d’un jugement éclairé. Premièrement, « le biais de proportionnalité ». Autrement dit, la tendance à penser que les événements importants doivent nécessairement avoir une cause importante. Il serait ainsi impossible que l’assassinat du président des Etats-Unis, John Filtgerald Kennedy, soit le fait d’une personne lambda ce qui va inciter à croire « qu’une plus grande machine était à l’œuvre ». Deuxièmement, « le biais de confirmation » : les théories avancées confirment nos croyances préexistantes. Par exemple, « si vous pensez que le réchauffement climatique est un mythe, vous n’allez enregistrer que les informations allant dans ce sens ». Troisièmement, « le biais de conjonction », ou la tendance à surestimer la corrélation entre deux éléments distincts. Enfin, « le biais d’intentionnalité » ou la tendance à penser que rien n’est fortuit ou accidentel, que derrière tout événement, il y aurait une intention. Ainsi, malgré une enquête étayée, certains croient toujours que l’accident de Coluche était prémédité.
Réaction émotionnelle et sociale
Et nous serions tous susceptibles d’adhérer à une théorie complotiste à un moment donné de notre vie. Car, « le contexte (événements sociétaux anxiogènes, catastrophes naturelles…) peut stimuler la méfiance et engendrer une réaction émotionnelle » explique Pascal Wagner-Egger. Elle serait aussi liée à notre condition sociale. Des recherches récentes montrent que « les minorités défavorisées y sont plus sujettes et que le complotisme se développe davantage dans des pays où la démocratie est moins forte et la corruption plus répandue ». Ceci renvoie au modèle social « eux contre nous ». Surtout que « les conspirations prévoient généralement de nuire ou de tromper, non pas un seul individu, mais un collectif plus large ». Pour les chercheurs Jan-Willem Van Prooijen et Karen M. Douglas, « les théories du complot sont généralement conçues comme des croyances intergroupes qui supposent qu’un groupe extérieur puissant ou hostile conspire contre le groupe d’appartenance de la personne qui la perçoit ». Ils estiment ainsi que les idées conspirationnistes peuvent naître dans de nombreux domaines de la vie collective et pas seulement dans l’opposition entre les politiques et les citoyens ». Et de citer le sport (un arbitre soudoyé par une équipe adverse) ou encore l’école (des professeurs ligués pour rendre des examens plus difficiles). Et de manière générale, « les personnalités anxieuses, superstitieuses ou narcissiques et immodestes » seront plus sensibles au phénomène.
(Source : RTBF, 05.02.2024)
Lire sur le site de l’Unadfi : Le complotisme comme stratégie de valorisation : https://www.unadfi.org/actualites/domaines-dinfiltration/internet-et-theories-du-complot/le-complotisme-comme-strategie-de-valorisation/