Enquête en cinq volets sur Thierry Casanovas

Le Parisien, qui suit depuis plusieurs mois le parcours de Thierry Casasnovas, a publié fin juillet une série de cinq articles sur ce chantre du crudivorisme, dont la mise en examen en mars 2023 a créé beaucoup de remous parmi ses fidèles.

Pour son premier article, le journal a recueilli le témoignage du fils d’une adepte morte, en juin 2021, d’un cancer de l’utérus. Elle était âgée de 56 ans. Thomas (prénom changé) raconte que sa mère adhérant, entre autres, aux préceptes de Thierry Casanovas aurait préféré jeûner plutôt que de se faire soigner. Elle affichait de longue date une méfiance envers la médecine conventionnelle à laquelle elle préférait l’homéopathie ou les huiles essentielles.

Adepte de la première heure, elle a commencé à suivre Thierry Casasnovas sur Youtube vers 2011-2012. Enthousiaste, elle admirait cet homme, « qui était au bord de la mort et qui s’est soigné en buvant des jus de légumes », et achetait divers produits qu’il vend sur son site : deux extracteurs de jus, un trampoline « pour faire bouger la lymphe », une table à inversion dont le but est de faire affluer le sang au cerveau « pratique contre la dépression » selon le thérapeute.

En 2021, après des saignements, la mère de Thomas consulte un oncologue. Quelques jours plus tard le verdict tombe, elle apprend qu’elle souffre d’un cancer. Elle décide de faire un stage de jeûne de 40 jours en Ardèche1 et annule l’opération programmée par l’oncologue. Mais, contrairement à ce qui lui a été promis, la tumeur ne s’assèche pas. Désespérée, elle recherche une solution et écrit à l’équipe de Thierry Casasnovas qui répond qu’il s’est retiré de la vie publique suite à l’enquête ouverte contre lui. Cependant on lui propose une « autoformation » en ligne et un contact avec « un coach » formé à ses préceptes. Selon Le Parisien, Thierry Casasnovas toucherait une commission sur chaque rendez-vous. La mère de Thomas décède peu de temps après cet appel à l’aide.

Ce n’est qu’après la mort de sa mère qu’il découvre qui est vraiment Thierry Casasnovas. Avec le recul, si Thomas ne peut pas dire qu’il a tué sa mère, il est convaincu qu’il a joué dans sa décision de ne pas se faire soigner.

Le second article du Parisien évoque la manière dont T. Casasnovas a conquis son public. Son parcours en ligne a débuté en 2011, année où  il commence à poster des vidéos sur Youtube et ouvre le forum Vivre Cru sur lequel les internautes exposent leurs problèmes de santé.

Dans ses vidéos, outre des conseils santé, il critique la médecine conventionnelle, minimise la gravité du cancer, nie l’existence du sida. A l’heure où les gens aspirent à une santé naturelle et où la méfiance envers les institutions médicales grandit, son discours trouve un large écho auprès d’un public qui s’accroit au fil du temps.

Il raconte comment il s’est guéri lui-même de la salmonellose et de la tuberculose. « Cette image de miraculé a de quoi séduire les malades que la médecine ne sait pas encore guérir » explique Pascale Duval, porte-parole de l’Unadfi.

Mais ses références inquiètent. Il cite régulièrement Guy Claude Burger, l’inventeur de l’instinctothérapie, ou l’américain Brian Clement, dont les thèses sur la nutrition sont controversées. « Les gourous parlent souvent de l’influence d’autres gourous qu’on suit déjà » développe Pascale Duval. « C’est comme un réseau, ils ne sortent jamais de nulle part », ajoute-t-elle.

Malgré ces références, le bagou et l’assurance de Thierry Casasnovas attirent de nombreuses personnes aux profils très divers.

Si au début de sa carrière l’homme apparaît décharné à l’écran, peu à peu il soigne son apparence et adapte son discours à un plus large public, n’hésitant pas, pour ce faire, à se contredire en proposant, par exemple, tantôt des bains froids, tantôt des bains chauds.

Au fil du temps ses méthodes de communication se rodent, explique la sociologue Romy Sauvayre. Il utilise un vocabulaire scientifique qui lui donne du crédit et met en avant des témoignages faisant office de preuve du succès de sa méthode.

Pendant ce temps-là, les signalements s’emballent auprès de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) qui en a collecté plus de 700 depuis 2011.

2016 marque son rapprochement avec l’extrême droite. Il s’affiche avec Alain Soral d’Égalité et réconciliation, et reçoit en juin 2020 une quenelle d’or des mains de Dieudonné.

 À la sortie du premier confinement, Thierry Casasnovas est plus populaire que jamais. Ses propos complotistes et antisystèmes ont séduit ceux qui étaient contre les mesures sanitaires et ont fait grimper le chiffre de ses abonnés Youtube à 500 000.

Le troisième article de la série du Parisien tente de démêler le vrai du faux dans le curriculum vitae de Thierry Casasnovas. En effet sa biographie aurait changé au fil du temps, en fonction de ses besoins, « pour nourrir son mythe auprès de ses fidèles ». Lui-même expliquait en 2021, dans Society avoir eu tendance à « s’inventer une vie pour mieux se faire accepter dans des groupes ».

Thierry Casasnovas a vu le jour en 1974, dans les Pyrénées Orientales. Il a grandi, sans faire de vagues, auprès d’une sœur et de parents enseignants. Sur Youtube, il raconte avoir décroché brillamment son baccalauréat avec un an d’avance, ce que confirme son père, puis avoir obtenu une maîtrise de physique. Il aurait ensuite intégré l’IUFM, mais a démissionné rapidement selon son père toujours. Le rectorat n’aurait pas trouvé de trace de lui comme enseignant, sauf s’il a été remplaçant ou dans le privé. C’est à cette époque, vers l’âge de 20 ans, qu’il aurait consommé beaucoup de stupéfiants. Il devient ensuite boulanger itinérant et entame une vie de bohème durant laquelle il aurait contracté une sévère salmonellose dont le traitement par antibiothérapie lui aurait causé des problèmes psychologiques et digestifs. En dépression, il commence au début des années 2000 à s’intéresser au chamanisme et à la nutrition.

« Gros consommateur de pastèques », se surnomme-t-il sur les forums où il partage ses expériences en matière de santé ! En 2006, il y relate ses trois semaines passées à l’Institut Hippocrates en Floride. Au sein de cet établissement hygiéniste, dirigé par Brian Clement – interdit d’exercer la médecine en 2015 – il consommera des graines germées.

De retour en France, les problèmes s’enchainent. Il se voit, selon ses dire, diagnostiquer une tuberculose, et il échappe de peu à l’incendie de sa yourte. Au plus bas, il est très amaigri par la maladie et ses régimes. Mais en 2007, à l’âge de 33 ans il « ressuscite » grâce à la découverte de l’alimentation crue qui lui aurait permis, selon lui, d’échapper à la mort. Durant un mois il se nourrit essentiellement de viande crue. Ce régime miracle ne l’empêche pas aujourd’hui de consommer des viandes grillées ainsi qu’en aurait témoigné un habitant de son village invité chez lui.

En 2008, un an après avoir adopté son régime miracle, Thierry Casasnovas restait squelettique d’après des amis avec lesquels il pratiquait le vélo couché. A cette époque déjà, selon eux, il se vantait d’exploits sportifs invérifiables. Ils décrivent un côté mythomane qui les aurait amenés à s’éloigner de lui.

L’enquête du Parisien se poursuit par un quatrième article évoquant le succès financier de Thierry Casasnovas. Selon ses détracteurs, l’homme, mis en examen en mars 2023 pour « pratiques commerciales trompeuses », « abus de biens sociaux », « blanchiment » et « abus de faiblesse », aurait amassé beaucoup d’argent grâce à ses activités commerciales. C’est un sujet qu’il évoque peu dans ses vidéos afin de ne pas ternir son image d’homme désintéressé, selon le journal.

S’il n’a jamais monétisé les vidéos de sa chaine YouTube, dont il a fait la vitrine de ses activités, il n’a pas hésité à demander des dons à ceux qui le suivaient via son forum Vivre cru et l’association Régénère dont il a déposé les statuts en 2012 dans les Pyrénées Orientales. Il s’est rapidement lancé dans le commerce d’extracteurs de jus, d’abord directement, puis via des partenariats avec des sociétés qui lui reversaient une commission sur chaque vente. Cet arrangement pouvait lui rapporter jusqu’à 3 000 euros par mois. L’un de ses partenaires dit avoir mis fin à leur contrat quand Thierry Casasnovas, attiré par l’appât du gain selon lui, a demandé une plus grosse part des ventes. Ses conférences qui attirent un public nombreux seraient une autre manne financière.

Pour centraliser toutes ses activités il fonde la société Actinidia en 2015, puis l’année suivante crée sa première société civile immobilière. Il en aura bien d’autres par la suite. Ce montage lui permet d’élargir ses activités à la formation en ligne et d’organiser des stages à 1 000 euros dans l’un des mas qu’il a achetés.

En 2016 il lance « les Rencontres de la régénération » où des centaines de personnes se pressent autour de stands et de conférences. Afin de répandre sa méthode en France, en 2019 il forme des coachs « Régénère ». Les 48 personnes sélectionnées seront d’abord formées à distance, puis huit jours en présentiel, le tout pour la somme de 4 000 euros chacun. Mais l’obtention de leur diplôme « Régénère » n’aurait pas l’effet escompté. L’un des coachs explique qu’un ou deux clients par an seulement l’appellent via le site de coaching.

Bien que ses coachs déchantent, la société de Thierry Casasnovas affiche un chiffre d’affaires de 1,9 millions d’euros en 2019.

Mais depuis l’enquête ouverte sur lui en 2020, il aurait revu l’organisation de sa société. Il aurait fermé Régénère et revendu une partie de son patrimoine immobilier.

Le cinquième et dernier article du Parisien aborde « la nouvelle vie » de Thierry Casansovas depuis sa mise en examen en mars 2023. Sous contrôle judiciaire, il lui est interdit « de participer ou d’organiser des stages ou des formations en lien avec la naturopathie, l’hygiénisme, la santé ou le bien-être ». Depuis, il n’a pas animé de stage et a été remplacé par d’autres naturopathes. Aucune nouvelle formation n’est annoncée sur son site.

S’il refuse de répondre aux sollicitations des journalistes, il n’est pas pour autant resté muet depuis mars. Dans une vidéo diffusée le 21 mars, il s’est engagé à prouver son innocence. Il continue aussi de promouvoir son mouvement en proposant des formations en ligne sur abonnement.

Malgré l’instruction, les affaires se portent bien. Les magazines Régénère et des produits dérivés estampillés « RGNR » se vendent bien.

En dépit des gains amassés au fil des années, l’entrepreneur explique se trouver en  « précarité financière », avec des comptes fermés. Il n’en faut pas plus pour qu’un comité de soutien lance une cagnotte en ligne pour l’aider dans sa défense juridique. En avril, la mobilisation de 3352 donateurs a permis de récolter 94 455 euros.

A Taulis, où il a résidé et est encore conseiller municipal, il divise. Certains affirment qu’il n’a jamais cherché à convertir les habitants, d’autres expliquent qu’il peut se mettre très en colère lorsqu’il est contredit.

Aujourd’hui, avec sa nouvelle compagne et leur bébé, il habite une maison isolée sur la commune de Céret. Il y accueille des bénévoles pratiquant le « wwoofing », une pratique permettant d’avoir le gîte et le couvert contre quelques heures de travail journalier.

Sa nouvelle compagne, « rédactrice en chef du magazine « Régénère », coach en santé holistique spécialiste de la « guérison de l’incurable » a été placée en garde à vue le 8 juin dernier. 

(Source : Le Parisien, 31.07.2023)

  1. Dans un centre qui n’est pas en rapport avec celui de Casasnovas.
  • Auteur : Unadfi