Arrestation d’un gourou qui sévissait depuis 40 ans sans jamais avoir été inquiété

A l‘issue d’une enquête de deux ans, Jean-Patrick Anne-Denise, un agriculteur réunionnais de 67 ans, à la tête d’un groupe agissant entre la Réunion et la métropole depuis 40 ans, a été mis en examen courant juin par les policiers de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) et la brigade de recherche de Saint-Benoit en raison de lourdes accusations contre lui.

Il est accusé d’avoir spolié des parents après leur avoir pris de l’argent et soustrait leurs enfants. Trois autres suspects, son compagnon et deux adeptes de la secte proches de lui, ont aussi été arrêtés.

Selon le procureur de la République de Saint-Denis de La Réunion, Eric Tufféry, une information judiciaire devrait être ouverte pour abus de faiblesse par sujétion psychologique, fraude à la Caisse d’allocations familiales et aux organismes sociaux, travail dissimulé, blanchiment d’argent et détournement de filiation. Parmi la soixantaine d’adeptes qui seraient toujours sous emprise, plusieurs ont été auditionnés librement.

Jean-Patrick Anne-Denise n’avait que 22 ans lorsqu’il a fondé, en 1975, l’association Fudakmi (Fraternité universelle des anciens Khrasts mystiques initiés) dont le but était « d’enseigner le mysticisme philosophique et la psychologie spirituelle, travailler au perfectionnement de l’homme dans ses états spirituels et ceci par l’étude de la philosophie, du mysticisme et de la théologie ». Très vite il s’est pris au jeu et a élaboré une doctrine en plagiant des textes sacrés remaniés à sa manière et en mélangeant des références tirées du vaudou, du bouddhisme, du catholicisme, de l’islam et de la mythologie nordique.

Affirmant être l’élu, la réincarnation d’un Dieu guerrier scandinave qui sauvera le monde, il faisait croire à ses fidèles qu’il était doué de pouvoirs extraordinaires. Il se faisait passer pour une femme, teignant ses cheveux longs en blonds et racontant avoir été déclaré garçon à la naissance en raison de son rôle d’élu que seul un homme pouvait assurer. Tantôt « Grand monarque divin », tantôt réincarnation d’un maître hindou finlandais revenu sur Terre aux côtés d’autres « âmes supérieures », il a convaincu certains de ses adeptes de lui abandonner leurs bébés afin que ces âmes puissent se réincarner en eux. Pour les y forcer, il persuadait les parents que des esprits maléfiques s’empareraient d’eux s’ils ne se pliaient pas à sa volonté. Une fois enceinte, la future maman était envoyée en métropole le temps de sa grossesse et accouchait sous X tandis que le gourou, resté à la Réunion et déguisé en femme, faisait semblant d’être enceinte. Il reconnaissait les enfants à leur naissance et percevait des allocations familiales pour eux. Les enquêteurs ont réussi à identifier quatre enfants victimes de ce vol de filiation. Cette forte emprise du gourou s’explique par la longévité du groupe au sein duquel plusieurs adeptes vivaient depuis leur naissance.

Suspectant d’importantes captations d’argent, l’OCRVP a aussi enquêté sur les ressources financières du leader et a découvert qu’il possédait de nombreuses propriétés sur l’Ile de la Réunion. L’une d’elle abrite même un temple. Lors de leurs perquisitions, les policiers ont, en outre, découvert 600 000 euros en liquide, 400 000 euros sur ses comptes bancaires personnels et 200 000 euros sur le compte de l’association, un beau patrimoine pour un agriculteur qui déclarait une misère aux impôts. Mais en 40 ans d’existence la secte a probablement drainé bien plus d’argent. D’autant qu’il apparaît que les adeptes payaient les impôts et les charges du gourou et lui cédaient même des propriétés. Enfin l’homme confisquait les médicaments de ses adeptes et leur vendait, à la place, des produits de sa conception comme une crème à la poudre sacrée facturée 1 000 euros.

Cette affaire a été révélée par un ex-adepte parvenu à se libérer en 2019 de l’emprise de Jean-Patrick Anne-Denise.

Frédéric, le fils d’un autre ex-adepte raconte ses souvenirs d’enfant dans le groupe. Son père a passé 20 ans dans la secte. Il avait commencé à fréquenter le groupe dans les années 1980 et sans arriver à subvenir aux besoins de sa famille, il donnait 1 500 francs par mois à la secte.

Frédéric qui a assisté à de nombreuses cérémonies se souvient : « J’ai assisté à des cours qui n’avaient rien à voir avec l’école, il parlait de choses que je ne voyais pas dans les livres, Il y avait un côté scientifique et mystique. Il nous parlait de l’univers, de l’énergie de l’homme, il nous disait que c’était pour l’évolution de l’homme, il nous responsabilisait et nous donnait de l’importance. On se sentait bien ».

Il explique pourquoi le groupe a pu passer sous les radars de la justice pendant plus de 40 ans. « Son association était bien ficelée, car il y avait des gens de la haute société, c’était un cercle fermé, pas n’importe qui y entrait, donc ça ne pouvait pas s’ébruiter ». Il suppose qu’il « avait sûrement des relations pour faire ça, comment les organismes n’ont pas pu se rendre compte de tout ça ? Ses bras droits étaient des gens distingués et respectueux ».

Ce que confirme les premiers éléments de l’enquête. Ainsi, l’un des protagonistes arrêtés, un ancien élu de quartier était retraité de l’Education Nationale. Ancien président de Fudakmi, il s’occupait de l’immobilier, jusqu’à avoir lui-même une agence immobilière et une agence de voyage. Le nouveau président a, lui aussi, été mis en examen ainsi que le compagnon du gourou qui a été libéré pour des problèmes de santé. C’est par lui que le gourou gardait le contrôle absolu sur l’argent du groupe.

Des riverains confirment également le niveau social élevé des adeptes (une centaine). Le samedi c’était « un ballet de voitures rutilantes » devant la propriété, note l’un d’eux. Parmi les adeptes figurent plusieurs membres de l’Education Nationale, des notables « médecin et pharmacien », un gendarme, un haut gradé de la police. En outre, la secte aurait infiltré plusieurs administrations comme la Caf ou la Sécurité sociale, ce qui lui aurait permis de bénéficier d’appuis.

A ce jour, des dizaines de personnes ont déjà été répertoriées comme victimes en métropole et à La Réunion.

(Sources : Le Journal de l’Ile de la Réunion, 16 & 17.06.2021 & La1ere.france TV Info, 17.06.2021)

Dans une vidéo diffusée le 16 juin dans l’Info.re, Serge Fabresson, président de l’Adfi Réunion, a donné un éclairage sur l’affaire.

Pour voir la vidéo : https://www.linfo.re/videos?ps=68955391%20 

Reportage sur l’affaire : https://www.linfo.re/videos/toutes-nos-videos/le-gourou-place-en-detention-provisoire 

 

  • Auteur : Unadfi