Marché du bien-être : flou scientifique et pirouettes sémantiques

Sur Instagram, TikTok et dans les pages tendances des magazines on voit fleurir une nouvelle génération de marques qui distribuent des produits censés apporter un bien-être tant physique que psychique. Zoom sur les stratégies commerciales qui caractérisent ce marché.

On le sait, le marché du bien-être se porte extrêmement bien. Mais ce qui caractérise surtout cette nouvelle génération de marques de produits, c’est l’exploitation sans vergogne de la défiance envers la médecine, associée à la flatterie de l’ego, par exemple en brandissant la carte du féminin sacré. Et surtout, le produit doit être « instagrammable », « TikTokable », c’est-à-dire posséder cette touche de luxe qui donne envie d’être photographié avec.

La marque Cosmic Dealer, qui prétend s’inspirer de l’ayurveda, vend des boîtes de sept « chocolats chakras » au prix de 29€. Chaque chocolat est emballé dans un sachet individuel orné de motifs ésotériques (œil, signes astrologiques…). Ces chocolats seraient à consommer dans le cadre d’une « detox de sucre ». Ce produit est actuellement en rupture de stock. Depuis son lancement en 2020, la marque Cosmic Dealer revendique une croissance à trois chiffres.

L’influenceuse Caroline Receveur a lancé quant à elle une marque de café baptisée Cosmic Goddess. Mascotte de la marque : « une super-héroïne fantastique, la Cosmic Goddess, qui fait référence au premier nom du café, le God’s fruit ». Il faudra dépenser 16,50 € pour un lot de trois boîtes de dix capsules de café.

Il y a également la fameuse marque Goop, créé en 2008 par Gwyneth Paltrow, influenceuse avant l’heure, aujourd’hui à la tête d’un empire dans le domaine du « wellness ». Goop vend toute sorte de produits : compléments alimentaires, produits cosmétiques, vêtements en chanvre, accessoires de cuisine, mais aussi, conseils beauté, fitness et alimentation dans une de newsletter. La marque Goop vend aujourd’hui aussi des poudres pour booster le microbiote ou pour améliorer la vie sexuelle.

D’autres marques proposent des poudres : Moonjuice vend, entre autres, une collection de poudres à diluer dans sa boisson préférée, dont les propriétés vont de la « stimulation de la production d’endorphine » à « une meilleure balance hormonale ». Spirit Dust, Brain Dust ou Sex Dust, les noms sont évocateurs… Depuis peu cette marque vend également des poudres appelées « eau cellulaire », à mélanger avec de l’eau afin d’aider le métabolisme à convertir les « lipides, glucides et protéines en « valeurs » pour les cellules ».

Ciblant un public citadin et féminin, ces marques capitalisent sur l’attrait pour la médecine non-conventionnelle. Peu importe que les ingrédients soient finalement très communs, que les recettes utilisent des termes à consonnance ésotérique mais sans rien de scientifique. Le packaging est toujours sophistiqué, faisant croire que le produit a été fait sur mesure. Le produit est également pensé pour mettre en valeur son acheteur lorsque celui-ci se prend en photographie avec.

Dans l’ouvrage collectif Les marchandises émotionnelles, la sociologue Eva Illouz (autrice de Happycratie) explique que les marchandises remplissent des fonctions émotionnelles : non seulement les produits vendus s’adressent directement à nos émotions, mais nos émotions elles-mêmes sont utilisées comme des marchandises. Des marques comme Moonjuice «chosifient » nos émotions et les transforment en marchés.

Ces produits et leur utilisation laissent supposer que l’acheteur a le temps et le privilège de s’interroger sans cesse sur lui-même, son apparence, ses choix, ses humeurs. Selon la journaliste Molly Young, du NY Times, ces marques « promeuvent l’égocentrisme comme la forme la plus raffinée de luxe. » Une autre journaliste utilise l’expression « névrose hollywoodienne » pour désigner cette tendance à estimer que ‘soi’ mérite une attention constance, même au niveau le plus infime. 

(Source : ladn.eu, 02.09.2022)

  • Auteur : Unadfi