Une agence gouvernementale cheval de Troie de pratiques à risque

L’engouement des Français pour les médecines dites alternatives et leur manque d’encadrement est à l’origine de la création de l’Agence des Médecines Complémentaires et Alternatives (A-MCA), une association de loi 1901 fondée en septembre 2020, qui ambitionne de promouvoir, structurer et intégrer ces pratiques dans le système de santé français.

Depuis trois ans déjà ses fondateurs ont entamé une démarche de légitimation de ces pratiques grâce à un intense lobbying en particulier en direction du monde politique. Ils se targuent à présent de réunir plus de quatre-vingts experts, des chercheurs, médecins, élus, anciens ministres, hauts dirigeants, mais aussi des patients et des soignants, et d’être soutenus par près de trente partenaires.
Voulant obtenir le statut d’agence gouvernementale, l’A-MCA est soutenue dans sa démarche par huit députés, dont quatre figurent aussi parmi ses propres experts, qui ont déposé le 18 mars une proposition de résolution invitant le gouvernement à institutionnaliser l’agence. Ce projet a été soutenu aussi par une tribune parue le 13 mars dans Le Monde1.

L’A-MCA, des relations diverses et parfois inquiétantes…

L’A-MCA a été fondée par Serge Guérin, Philippe Denormandie et Véronique Suissa. Serge Guérin, Le président de l’A-MCA, est professeur en sociologie et proche d’EELV. Il promeut le concept anglo saxon du « care » qui se veut un altruisme sociétal. Le docteur Philippe de Normandie, conseiller médical de l’agence, est le père de l’actuel Ministre de l’agriculture. Il a été membre du jury de thèse de Véronique Suissa le troisième membre fondateur de L’A-MCA. Docteure en philosophie, cette dernière est la directrice de l’A-MCA. En 2017 elle a publié une thèse sur l’impact des médecines complémentaires et alternatives chez les patients atteints de cancer montrant les bénéfices multiples que les patients trouveraient dans ces thérapies, et dans laquelle, elle adresse des remerciements à… une médium.

En 2019, elle a co-dirigé un livre intitulé Médecines complémentaires et alternatives pour ou contre ? Regards croisés sur la médecine de demain, dont une très faible partie est consacrée aux dangers de certaines pratiques de soins non conventionnelles. Parmi ses contributeurs figure le professeur Jacques Kopferschmitt, le Président d’honneur du Collège Universitaire de Médecines Intégratives et Complémentaires (CUMIC) de l’université de Strasbourg et membre du mouvement anthroposophique, dont il promeut la branche médicale à travers des formations proposées au sein de l’université. Interrogée à plusieurs reprises à ce sujet, Véronique Suissa répond inlassablement « on n’est pas censé se renseigner sur le CV de nos contributeurs » et avance la contribution de deux membres de la Miviludes comme caution. La Miviludes, confie le journal Marianne, craint, quant à elle, que la promotion de cette agence soit un nouveau coup porté à sa mission.

Peu de temps après la parution de cet ouvrage de nouvelles portes s’ouvrent. Le Ministère de la santé accueille Véronique Suissa pour un colloque soutenu par des personnalités du monde politique comme, l’ancien ministre, Xavier Bertrand ou Jérôme Salomon, le directeur général de la santé. Plus récemment, en janvier 2021, Véronique Suissa a été reçue par Brigitte Macron à l’Elysée.

Mais les objectifs de cette agence et sa demande d’institutionnalisation ne font pas l’unanimité. S’y oppose un collectif réunissant médecins, scientifiques, représentants d’associations sceptiques qui a publié une tribune dans Le Figaro 16 avril2 pour exprimer doutes et inquiétudes sur l’A-MCA. Les membres de ce collectif, désormais baptisé Aedes (Alerte État Dérives Sectaires), craignent que les actions de l’A-MCA « ne favorisent l’entrisme, au plus haut niveau de l’État, d’intérêts commerciaux et de mouvements sectaires liés aux pseudo-médecines ». Pour eux, il ne fait aucun doute que les fondateurs de l’A-MCA tirent profit de son institutionnalisation. En effet la formation des professionnels de santé à ces pratiques pourrait se révéler intéressantes pour ses trois principaux protagonistes car Philippe de Denormandie est aussi « directeur des relations santé de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), tandis que Serge Guérin dirige le master directeur des établissements de santé à l’Inseec. Enfin les signataires de la tribune du Figaro nous apprennent que Véronique Suissa serait l’une des intervenantes du diplôme d’études supérieures universitaires (Desu) de pratique de la méditation de pleine conscience proposé par l’Université Paris VIII. À propos de cette filière, le journal Marianne relève qu’elle est financée par la société Asperia Care, dont le propriétaire a été signalé au parquet de Paris par la Cour des comptes « pour des malversations liées à des formations de coaching politique payées par de l’argent public. » Si Véronique Suissa dément avoir enseigné pour ce Desu, la direction de l’Université, contactée par Marianne confirme sa présence et celle d’autres membres de l’A-MCA parmi les intervenants du Desu.

Pourquoi la création d’une agence gouvernementale d’évaluation des médecines alternatives ne serait pas une bonne idée ?

Sur la même ligne que l’Aedes, Jean-Paul Krivine, président de l’AFIS, s’est exprimé dans le journal L’Express au sujet des dangers que ferait courir la reconnaissance de l’A-MCA en tant qu’agence gouvernementale en termes de santé publique.

Il s’inquiète de l’ambiguïté entretenue par l’A-MCA laissant penser qu’il conviendrait de rassembler deux « médecines » dans l’intérêt des patients. Pour lui la médecine dite « alternative » ne peut prétendre au titre de médecine que si son efficacité est évaluée et validée scientifiquement selon les mêmes standards de rigueur (essais cliniques, preuves d’efficacité…) que pour la médecine conventionnelle. Cette dernière n’a, d’ailleurs, jamais refusé d’intégrer des éléments issus de la pharmacopée traditionnelle lorsque ceux-ci se révélaient efficaces.

Selon lui, « c’est à tort que les partisans de pratiques non validées scientifiquement affirment qu’elles sont rejetées faute d’avoir été correctement évaluées ». Elles ont, au contraire, été l’objet de nombreuses études peu concluantes pour la plupart. Il rappelle que le processus d’évaluation de l’efficacité des différentes pratiques est déjà mis en œuvre par des agences dédiées  qui se sont déjà toutes penchées sur les « médecines » alternatives, et cite pour exemple l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la Haute autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). L’Inserm a également produit des rapports d’évaluation de plusieurs approches dites « alternatives ».

Aux États-Unis une initiative similaire à celle proposée par l’A-MCA a été un gouffre financier qui a englouti, en 20 ans, près de deux milliards de dollars en études diverses pour en arriver, pour l’une d’entre elle financée à hauteur de 1, 8 millions de dollars, à la conclusion « que la prière ne guérit pas le sida ou les tumeurs du cerveau ». Pour Jean-Paul Krivine, plutôt que de financer une agence qui risque d’en arriver aux mêmes résultats, des moyens supplémentaires devraient être alloués « aux professionnels de santé afin qu’ils puissent disposer du temps nécessaire à la mise en œuvre des pratiques validées ».

Cependant, il ne nie pas qu’une régulation du secteur des « médecines » dites douces est nécessaire pour protéger les consommateurs, car l’absence de cadre réglementaire favorise des dérives. Mais leur intégration dans le cadre de la médecine conventionnelle pourrait leur donner une légitimité thérapeutique sans avoir eu à faire la preuve de leur efficacité.

Parmi les arguments en faveur de l’intégration de certaines de ces pratiques figurent leur innocuité et leur popularité. Leurs tenants, jouant sur une vision caricaturale de la médecine moderne, expliquent qu’elles seraient « le complément négligé » de la médecine conventionnelle en « évitant, par exemple, la sur-médication ou en contribuant au confort du patient ». Mais encore une fois, les preuves manquent pour étayer ces affirmations. D’ailleurs, Jean-Paul Krivine rappelle que la Haute autorité de santé n’a pas attendu l’A-MCA pour proposer en 2015 une « démarche centrée sur le patient ».

Espérant jouer le rôle de régulateur, l’A-MCA soutient que la popularité et le phénomène social incontestable qui accompagnent les « médecines » douces « suffiraient à rendre légitime et souhaitable » leur intégration et leur réglementation. Mais elle « laisse complètement de côté la question de leur efficacité et de leur validation ».

Il sera bien difficile d’évaluer ces « médecines » dont les visions « du corps humain et de la maladie se situent hors du champ scientifique ». « Ces thérapeutiques sont imprégnées d’idéologies mystiques ou religieuses » à l’image de la médecine anthroposophique dont la thérapeutique doit agir sur le « corps éthérique » et « le corps astral » en plus du corps physique. Intégrer ces pratiques signifierait pour la médecine abandonner sa neutralité et laisser le champ libre aux croyances, et pour le patient l’obligation de faire un choix idéologique.

Jean Paul Krivine prévient : « si elle voyait le jour, cette agence des médecines complémentaires et alternatives serait en réalité un véritable cheval de Troie pour des pratiques douteuses et infondées ».

(Sources : Le Figaro, 16.04.2021, Marianne, 16-22.04.2021, & L’Express, 02.05.2021)

1-« Il est urgent de structurer les médecines complémentaires et alternatives »
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/13/il-est-urgent-de-structurer-les-medecines-complementaires-et-alternatives_6072978_3232.html

2-« Ne laissons pas un lobby de pseudo-médecines devenir une agence gouvernementale ! »
https://www.lefigaro.fr/sciences/ne-laissons-pas-un-lobby-de-pseudo-medecines-devenir-une-agence-gouvernementale-20210411

  • Auteur : Unadfi