Grandir informés, le nouvel ouvrage de la sociologue Anne Cordier livre les résultats d’une enquête menée sur dix ans, entre 2012 et 2022. Elle porte sur le rapport au numérique et à l’information de jeunes de 6 à 20 ans, et à la façon dont ce rapport s’est modifié au fur et à mesure de leur entrée dans l’âge adulte.
Le constat du livre est rassurant : pour la plupart des jeunes, il est important et même agréable de bien s’informer. Une vision à rebours de ce qui se dit communément au sujet des « digital natives », cette génération née avec Internet. La sociologue critique d’ailleurs cette étiquette : elle insiste et rappelle que les jeunes sont tous très différents les uns des autres, quelle que soit la génération à laquelle ils appartiennent. Elle déplore par ailleurs la pression exercée par les adultes et la société sur la jeunesse, de qui on exige qu’elle s’informe et consomme de l’actualité, et ce dès le collège. Or les pratiques informationnelles changent avec l’âge et avec les intérêts qui naissent ou disparaissent. Un enfant s’intéressera plutôt aux mythes et légendes, aux jeux vidéo. A l’adolescence, surtout au lycée, le jeune commence à se documenter sur d’autres sujets comme la sexualité ou les questions sociétales. Il aura alors tendance à se tourner vers des médias qui traitent davantage des thématiques qui l’intéressent, comme le média en ligne Brut. Apparaît « l’information de service » qui concerne toutes les informations relatives à l’orientation, la recherche d’emploi ou de stage, et la recherche d’un logement étudiant. C’est à l’âge adulte que les pratiques d’informations se modifient en profondeur, en diminuant l’information sur les loisirs et en privilégiant l’information d’actualité.
Si une majorité d’adultes perçoit de manière négative la façon dont les adolescents s’informent, c’est selon Anne Cordier parce qu’on impose aux jeunes une définition de l’information : « il faut absolument que ça porte sur l’actu politique, nationale, voire internationale. C’est évident que ce n’est pas une passion adolescente. En plus de ça, on leur impose la manière de faire. On leur demande de lire la presse écrite sur papier et on les culpabilise en leur disant que tout ce qui passe par les réseaux sociaux, c’est mauvais. Face à cette double contrainte, ils ont très peur de mal faire. À force d’être confrontés à ces attentes, les jeunes finissent par dire qu’ils ne s’informent pas, mais c’est totalement faux. » En réalité, les jeunes consacrent beaucoup de temps dans la journée à s’informer. Mais l’activité n’est pas conscientisée car elle n’est pas matérialisée par la lecture d’un journal papier, ou par le rituel du journal télévisé.
L’enquête révèle également que les jeunes sont bien moins passifs et naïfs que nous pourrions le supposer face aux biais algorithmiques, puisqu’ils sont conscients du fonctionnement de ces biais, et conscients d’être parfois happés dans des « tunnels » de contenus vidéo. Mais pour la sociologue, il est injuste de leur faire porter toute la responsabilité de ces pièges tendus par les applications : « face à des entreprises spécialisées dans la captation de notre attention, ils n’ont aucune chance ».
(Source : ladn.eu, 16.05.2023)