Deux anciennes élèves dénoncent un système oppressif et sexiste

En France, environ 2.000 jeunes filles sont scolarisées dans les établissements de la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX), une organisation catholique intégriste dont les écoles sont hors-contrat. Deux anciennes élèves du Cours Notre-Dame de l’Annonciation témoignent d’un enseignement « perpétuant une vision réactionnaire du rôle des femmes et du monde ».

Dans le Jura, le château de Cressia, forteresse du XIIIe siècle rachetée par les Dominicaines de Fanjeaux en 1985, n’est pas qu’un lieu de culte. Des élèves y vivent sous le joug d’un règlement strict : « À 7 h, on nous réveillait brusquement pour prier, genoux au sol et coudes sur le lit », se souvient Claire, qui y a étudié il y a moins de dix ans. Les pantalons étaient interdits et seules les couleurs bleu marine, brun ou blanc étaient tolérées. « Le noir, c’était la couleur des filles de joie », raconte-t-elle, encore choquée par ces interdits.
Après la messe, les élèves étaient contraintes de nettoyer les lieux communs, des cuisines aux salles de classe, avant de suivre les cours. Pour les Dominicaines, « ces tâches avaient une vocation éducative » ironise Claire. « On devait apprendre à utiliser les bons produits d’entretien pour devenir de bonnes épouses ».


Une éducation genrée


Selon la jeune femme, « les enseignements dispensés au Cours Notre-Dame de l’Annonciation privilégient les matières littéraires, les langues mortes et la doctrine religieuse, au détriment des sciences modernes. Les cours de biologie omettent par exemple toute mention des méthodes contraceptives ou des infections sexuellement transmissibles ». Un manuel scolaire utilisé en classe et qu’elle a encore, intitulé Les premiers jours de la vie, explique : « À la famille revient tout ce qui relève de l’intimité du mariage ».
Elle estime par ailleurs que « les cours de philosophie, eux, véhiculent une vision rétrograde du rôle des femmes ». Pour étayer ses propos, elle ressort les notes qu’elle a conservées des cours où les religieuses affirmaient : « La femme n’est pas faite pour rester célibataire. Elle aspire au don d’elle-même. Elle raisonne moins ». Elle se souvient aussi d’un essai étudié en classe, La mission métaphysique de la femme, du philosophe allemand Peter Wust. Il y décrit la femme comme une « seconde espèce » dont la « servitude est un privilège intangible ».
Lucie, une autre ancienne élève, se souvient d’un environnement hostile à toute contestation. « Quand je voulais parler de mes opinions, on me disait qu’il fallait laisser ces questions aux adultes ou prier ». Elle dénonce aussi un racisme ambiant : « Les sœurs ne réagissaient pas quand des élèves disaient que les Arabes profitaient du système ou niaient les chambres à gaz ».
C’est dans ce contexte que Claire et Lucie, deux élèves parachutées au château, ont noué une amitié interdite. « Les Dominicaines faisaient tout pour nous séparer, arguant que Lucie venait d’un milieu social douteux », raconte Claire. Malgré tout, les deux adolescentes se soutenaient mutuellement face à ce qu’elles qualifient d’oppression quotidienne. « La seule chose qu’on avait, c’était l’une et l’autre », confie-t-elle.
Mais la séparation est venue brutalement lorsque Lucie a quitté l’école après une série de crises suivie de grèves de la faim. « Je me tapais la tête contre les murs pour que mes parents comprennent qu’il fallait me sortir de là », se souvient-elle. Restée seule, Claire s’est réfugiée dans le déni : « Je ne m’avouais pas que c’était horrible, pour survivre ».


Des punitions en réponse à la détresse


Face à la détresse des élèves, les religieuses adoptaient une posture punitive plutôt que bienveillante. Claire, qui s’automutilait, raconte que les sœurs lui ont dit qu’elle « irait en enfer » si elle continuait. Lucie, quant à elle, a dû réapprendre à vivre après avoir quitté l’établissement : « Je ne savais pas comment m’habiller, comment parler à des garçons… J’avais tout oublié ».
Selon le Comité national d’action laïque (CNAL), les établissements liés à la Fraternité Saint-Pie X ne respectent pas les obligations du socle commun de connaissances de l’Éducation nationale. Contactée, la direction du Cours Notre-Dame de l’Annonciation rejette les accusations. Elle concède qu’« il y ait pu avoir des maladresses », mais défend « un enseignement équilibré où toutes les tendances sont étudiées ». Deux parents d’élèves, anonymes, soutiennent également l’établissement, vantant une école « qui forme des jeunes filles épanouies avec un esprit sain dans un corps sain ».
Pourtant, Claire et Lucie, aujourd’hui adultes, gardent les stigmates de cette éducation. Après plusieurs années de thérapie, Claire tente de s’affranchir des injonctions culpabilisantes : « J’ai encore du mal à m’autoriser une sexualité libre. Ça me donne des sueurs froides ». Quant à Lucie, elle compare son passé à « un mauvais tatouage qu’on voudrait effacer ». Les deux amies restent en contact et s’entraident pour avancer. Leur devise : « Ne plus tendre l’autre joue ».


(Source : StreetPress, 07.01.2025)


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  • Auteur : Unadfi