Que sait-on de ? La Famille

Historique

La Famille puise ses racines dans le Jansénisme (encadré), mouvement catholique né au XVIIe siècle en réaction contre les jésuites jugés trop permissifs. Sa doctrine donnera naissance à plusieurs groupes, parmi lesquels figurent les Convulsionnaires de Saint Médard, « croyants très pieux » qui manifesteront leur foi de façon très ostentatoire par des « transes mystico religieuses » et des convulsions.

Les premières manifestations de cette frénésie religieuse auront lieu à Paris dans le cimetière de St-Médard, sur la tombe du diacre François de Paris auquel on attribue des miracles. Mais des scènes crues et violentes vont amener l’État à fermer le cimetière. Les réunions vont alors se poursuivre dans des appartements privés de l’Est parisien. Durant les séances de transe, qui relèvent davantage de l’expiation et du martyr, les convulsionnaires sont entourés de personnes (les secours) qui les accompagnent en leur assénant des coups ou en les crucifiant pour aider à extraire le mal de leur corps.

A la fin du XVIIIe siècle, le mouvement réprimé dans la capitale essaime en province. Une des communautés est menée par les frères Bonjour. Le fils de l’un des deux, Élie, va être considéré comme prophète par leurs adeptes, les Bonjouristes. En 1819, un de leurs employés, Jean-Pierre Thibout, fonde aux côtés de François Havet La Famille. Le mouvement bonjouriste que l’on croyait éteint depuis le XIXe siècle perdure, encore aujourd’hui, à travers La Famille dont les membres continuent de vénérer Élie, attendant toujours son retour censé annoncer la fin des temps.

C’est l’un des grands anciens de La Famille, Auguste Thibout, surnommé encore aujourd’hui « mon oncle Auguste », qui va « codifier les pratiques du groupe et lui donner sa forme contemporaine ». En 1892, il ferme le groupe au monde et en interdit l’entrée à toute personne de l’extérieur.

Le groupe a toujours été localisé dans l’Est parisien. Au départ ses membres vivaient rue de Montreuil où le prophète Élie serait venu avec ses premiers adeptes qu’il aurait laissés sur place en attendant de venir les récupérer à son retour le jour du jugement dernier. Lorsque le prix de l’immobilier y est devenu trop élevé, les fidèles se sont éloignés, essaimant dans les XIIe et XXe arrondissement de Paris. Selon une légende de La Famille, le septième descendant « d’oncle Auguste », sera le dernier avant la fin des temps. Comme ses prédécesseurs nommés Auguste, il doit être l’aîné de la famille. Le passage de huit patronymes à sept est un autre signe de la fin des temps qui pourrait être proche car la huitième branche ne compte plus que des femmes va bientôt s’éteindre. 

Qu’est-ce que le jansénisme ?

Né au XVIIe siècle, le jansénisme professe une doctrine centrée autour de la grâce divine et de la prédestination : dès la naissance on est prédestiné à être sauvé ou pas. Mais les élus se doivent de vivre selon une morale stricte dans la crainte de Dieu pour ne pas perdre cette grâce. Accordant une grande importance au merveilleux et aux miracles le mouvement janséniste a trouvé une application concrète et populaire de sa doctrine dans le mouvement convulsionnaire né à la suite d’une série de miracles survenus sur la tombe du diacre François de Paris, au cimetière de Saint Médard.

Conditions de vie des membres

Les membres de La Famille ne sont pas figés dans le temps et ont accès aux technologies modernes.

La scolarité 

« Mon oncle Auguste » n’était pas favorable à la scolarisation à l’école publique. Aujourd’hui, seuls les membres les plus fidèles au dogme scolarisent leurs enfants à domicile. Les autres mettent leurs enfants à l’école essentiellement pour ne pas attirer l’attention sur la communauté « mais dans le strict respect de l’âge scolaire obligatoire ». Rares sont ceux qui poursuivent leurs études au-delà de l’âge de seize ans.

Le travail

Concernant la vie professionnelle, les adeptes suivent encore les consignes de « Mon Oncle Auguste ». « Les femmes ne sont pas censées travailler » ou font des métiers sans qualification. Quant aux hommes, certaines professions leurs sont interdites, comme la magistrature ou les métiers de la santé. En effet seul Dieu, « Bon Papa », est en droit de juger les Hommes ou de décider de leur devenir. De manière générale, ils doivent s’en tenir à des professions subalternes, tout poste à responsabilité étant mal vu.

Les unions

Le mariage n’est autorisé qu’avec un membre de La Famille et strictement interdit avec une personne de l’extérieur. Les adeptes sont amenés à se marier jeunes et à la fin de l’adolescence ils cherchent déjà un(e) partenaire afin de ne pas être condamné au célibat du fait de la limitation du nombre d’hommes et de femmes à chaque génération. Ils doivent rester chastes jusqu’au mariage. Le faible nombre de membres amène beaucoup de mariages entre cousins germains, la consanguinité ayant pour conséquences inévitables la naissance d’enfants lourdement handicapés car l’avortement est interdit. Croyant en la prédestination, le handicap est perçu comme la volonté de Dieu.

Le Kibboutz de Pardailhan (Hérault)

Au tout début des années 1960, une soixantaine de membres de La Famille ont quitté Paris pour rejoindre Vincent Thibout et tenter la seule et unique expérience de kibboutz en France ; l’aventure ne durera qu’une année. La venue de ces nouveaux habitants dans un village déserté par l’exode rural a attiré l’attention de l’émission 5 Colonnes à la une qui y avait dépêché une équipe de journalistes. Plus récemment, France Culture s’est penchée sur cet épisode. Interrogés par la radio, les habitants se souviennent de personnes courageuses et aimables, assez repliées sur elles-mêmes dont les relations étaient cimentées par un lien dont ils n’ont pas compris la teneur à l’époque. Mais le lien avec La Famille n’était pas facile à établir au premier abord, d’autant moins que ceux venus à Pardailhan avaient été exclu du groupe parisien. Ce sont encore une fois les patronymes qui ont permis de les relier.

À voir et à écouter à propos du Kibboutz : 

Un Kibboutz en France, Cinq colonnes à la une, 1961 : https://madelen.ina.fr/ programme/un-kibboutz-en-france

Le mystérieux kibboutz de Pardailhan, France Culture avril 2017, 51 minutes : https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/dissidences-chretiennes-24-le-mysterieux-kibboutz-de-pardailhan

Du mystérieux kibboutz de Pardailhan à la communauté parisienne, France Culure, avril 2017, 52 minutes : https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/dissidences-chretiennes-34-du-mysterieux-kibboutz-de-pardailhan

Croyances et pratiques religieuses

Malgré leur origine janséniste, les membres de La Famille ne se considèrent pas comme catholiques, mais comme « les vrais croyants » face à une Église qu’ils estiment dévoyée. Les seuls sacrements qu’ils ont conservés du christianisme sont le baptême et le mariage. « Toutes les autres cérémonies se déroulent à la maison, chaque père étant son propre prêtre ».

Leurs croyances s’appuient sur la transmission écrite de textes religieux secrets et sacrés qui sont recopiés à chaque génération. Les divulguer à l’extérieur est considéré comme un sacrilège.

À l’âge de 10 ans, les enfants écrivent une prière qu’ils devront conserver toute leur vie sur eux « comme une sorte de talisman ».

Leur vie est rythmée par un calendrier des fêtes précis qui « emprunte au catholicisme » auxquelles se sont ajoutées des célébrations qui leur sont propres. La Famille est très festive et « les rassemblements très nombreux sont cimentés par l’alcool » dont la consommation est forte au sein du groupe. Les fêtes sont très codifiées, chaque famille va y rencontrer les autres en fonction de sa branche, chacune affublée de surnom comme « les Paultis », les « Gribouilles, les « Dédelles » …

Ces festivités sont l’un des aspects positifs du groupe, reconnu même par les anciens membres les plus critiques. Ils admettent que « par bien des aspects La Famille peut se révéler positive ». La vie communautaire très riche protège les membres du monde. La solidarité entre les membres y est très forte.

Beaucoup de fêtes sont organisées à Villiers-sur-Marne dans la maison historique de « Mon Oncle Auguste », appelée les Cosseux. Chacune des huit familles possède une parcelle de la propriété ce qui crée une forme d’égalitarisme entre les membres.

Les enterrements sont une particularité du groupe. Le défunt est veillé pendant trois jours chez lui, puis toujours inhumé dans une fosse commune à Thiais, par une société de pompe funèbre située dans le XIe . « La Famille proscrit les tombes nominatives et individuelles ». Seuls les hommes sont présents aux enterrements.

Les interrogations

La Miviludes ne qualifie pas le mouvement de secte, mais pointe de potentielles dérives.

Mais certains anciens membres, eux la qualifient de secte. Le conditionnement est fort, « très peu de choix est laissé aux membres sur leur avenir, sur la possibilité de quitter La Famille ». Il est impossible de partir sans en être définitivement banni, coupé de ses racines et de ses proches.

Deux femmes rencontrées par le journaliste au cours de son enquête ont affirmé avoir été abusées sexuellement dans leur enfance. Des cas de viols, d’attouchements ont été rapportés, certains prescrits depuis longtemps.

Selon Nicolas Jacquard, La Famille évite de judiciariser les affaires, préférant traiter les problèmes en interne, ce qui a pour conséquence pour les victimes d’être dans l’incapacité de se faire connaître comme telles à l’extérieur.

(Sources : Le Parisien, 21.06.2020 & Code Source, un podcast du Parisien, 24 & 25 juin 2020)

  • Auteur : Unadfi