Quand Luc Jouret exporte sa secte de France

Il y a des années déjà que l’ADFI de Rennes avait reçu des familles inquiètes et perplexes au sujet de leurs filles, tombées sous l’influence d’un homéopathe, Luc Jouret. Elles étaient devenues  » bizarres « , avaient tout quitté ; cet homéopathe paraissait avoir une très grande emprise sur tout un groupe de personnes. Mais tout cela était vague et laissait perplexe: était-ce simplement un médecin un peut trop adulé de ses patient(e)s – ou plus grave ?

 La réponse est venue du Québec. Au début de mars 1993, un mandat d’amener était lancé dans tout le Canada contre Luc Jouret, 45 ans, chef de l' » Ordre du Temple Solaire « , une secte croyant à l’imminence de l’Apocalypse et s’y préparant de diverses manières, stockant des armes et des provisions.

 La doctrine de la secte, pour ce qu’on en sait, est à la fois floue et banale, style  » ésotéro-apocalyptique « . La fin du monde approchant, on a construit au Québec une  » ferme de survie « , avec un bunker anti-nucléaire, où les élus survivront, avec Luc Jouret. Une ex-adepte suisse raconte: son mari avait consulté le Dr Jouret pour une affection banale. Celui-ci l’a traité et l’a convaincu que, sans lui, il serait mort d’un cancer. Le couple a vendu tout ce qu’il possédait en Suisse pour venir s’installer non loin de Jouret, au Québec. Mme Klaus dit avoir donné 1 million de dollar à cet homéopathe qui se prend pour le Christ (dit-elle), a remarié son mari avec une autre femme dans un  » mariage cosmique « .  » Jouret disait qu’on était les élus, qu’il fallait rassembler cent familles pour survivre « . L’objectif principal, selon elle et les autres anciens membres dégrisés, était de soutirer aux adeptes le plus d’argent possible. (Le Journal de Montréal 11/03/93).

 Pendant longtemps, disent les anciens adeptes, ils se sont tus. Ils avaient  » honte d’avoir été si naïfs  » ; mais surtout, ils avaient peur:  » du délire  » des dirigeants du mouvement; d’être  » descendus « . Selon te Soleil (Québec) du 07/04/93,  » des femmes sont pressées par Luc Jouret de s’entraîner au tir « . Un groupe s’appelant Q37 (Q = Québec, 37 = le nombre des membres fondateurs) lié à cet  » Ordre  » avait menacé de tuer Claude Ryan, ministre de la Sécurité publique du Canada. Deux membres de la secte étaient arrêtés et inculpés de complicité pour s’être procuré des armes et des silencieux. (La Gazette, Montréal, 02/04/93). La Sécurité du Québec pensait que Luc Jouret s’était enfui en Suisse.

 Autre sujet d’inquiétude : des membres de l’OTS, disciples de Luc Jouret, ont tenté d’infiltrer une société d’État québécoise, Hydro-Québec, et d’autres lieux de pouvoir. Plu sieurs membres y occupent des fonctions de cadres influents. Bien entendu,  » les choix spirituels sont de nature personnelle « , continue Claudette Tougas dans ta Presse (Montréal) du 0l/04/93. Mais  » les objectifs de la secte, l’utilisation des fonds publics à des séminaires de formation  » pour lesquels Luc Jouret encaissait des honoraires de conférencier, tout cela nécessite une enquête indépendante d’Hydro-Québec.

  » Comment cette secte a-t-elle pu s’implanter si facilement à Hydro-Québec ?  » se demande la journaliste. Elle conclut avec un grand bon sens :  » Pour que des cadres supérieurs aient le temps de se préparer à la fin du monde, de se réunir, d’établir des contacts, il faut qu’ils aient beaucoup de temps à perdre « …, et à faire perdre à leurs employés, qui ne sont généralement pas en position de dire  » non « .

 Le Soleil note aussi que l’OTS a changé une dizaine de fois d’appellation. Les deux membres arrêtés le 9 mars pour achat d’armes prohibées ont déclaré ne pas appartenir à l' » Ordre « . Cela fait bien rire les rescapés de la secte:  » C’est la méthode classique « …

 De fait, tout ce qui est relaté ici rend un son familier, et peut être dit d’autres groupes, certains fort importants et plus riches encore que celui de Luc Jouret.

 La fin – provisoire en tout cas – de l’histoire rappelle peut-être aussi des souvenirs : le 25 août 1993, La Presse (Montréal) annonce que Luc Jouret est revenu au Québec  » en catimini  » ; au mois de juillet, il a plaidé coupable pour des chefs d’accusation limités (comme le permet la justice anglo-saxonne) et a reçu, comme les deux autres principaux accusés, une peine de pure forme: un an de probation, sans contrôle judiciaire, et un don de 1.000 dollars à la Croix-Rouge.

 Le Dr Jouret est retourné en Suisse aussitôt après. C’est en France, selon son avocat, qu’il exerce sa profession. Mais il possède également un passeport canadien. Il tenait à obtenir une sentence qui ne soit pas inscrite à son casier judiciaire ; il peut ainsi continuer d’exercer la médecine (!) en France, et peut-être au Canada où il songerait à s’installer. Il est propriétaire d’une luxueuse résidence à Morin Heights, dans les Laurentides.

 Mais il existe toujours en France plusieurs clubs et associations sous l’influence de ce docteur à la déontologie très particulière.

(source: BULLES du 1er trimestre 1994)