L’activité sectaire, une question de logique ?

Alexandra Stein, professeur de psychologie sociale à Birkbeck (Université de Londres), écrivaine et éducatrice spécialisé dans l’étude des sectes et de l’extrémisme idéologique, présente son analyse sur les mouvements sectaires et extrémistes. Ex-adepte d’un groupe sectaire politique, elle a transmis cette expérience dans un livre intitulé Inside Out.
Aujourd’hui, elle axe son travail sur la prévention pour aider les gens à identifier, comprendre les groupes sectaires et extrémistes et s’en protéger. Pour affiner son analyse, Alexandra Stein s’est appuyé sur soixante-dix années d’études, dont les travaux d’Hannah Arendt sur les origines du totalitarisme et de Robert Jay Lifton sur le lavage de cerveau. Elle a constaté que les sectes revêtent plusieurs formes allant des mouvements religieux aux groupes terroristes en passant par des organisations de développement personnel.

Les groupes sectaires sont contrôlés par un leader (souvent psychopathe) charismatique et autoritaire. Ces deux qualités, indissociables, sont la source de l’organisation centrale et de la dynamique du groupe basé sur l’amour et la peur. Cette combinaison induit le contrôle de l’adepte.
La structure interne de la secte est fermée et fortement hiérarchisée. Elle forme un cercle hermétique qui ne s’ouvre que pour le recrutement. Les adeptes doivent renoncer à leurs liens avec l’extérieur à moins que ces liens ne soient utiles, d’une quelconque façon, à l’organisation.
 

Au sein du groupe, les adeptes sont isolés les uns des autres et ne communiquent que dans les limites étroites établies par le système de croyance du groupe. Paradoxalement, ils vivent dans une promiscuité psychologique ne laissant pas de vie privée ou d’espace personnel. Le quotidien est étroitement contrôlé. Les relations entre adeptes sont proscrites, la relation au gourou ou à l’ensemble du groupe prime. Le système de croyance exclusif rejette tout ce qui ne lui appartient pas. Le groupe prétend détenir une vérité qui explique tout, et tout le temps, et qui indique une direction unique pouvant changer au gré du leader. À titre d’exemple, Lyndon LaRouche, leader de la secte politique Solidarité et Progrès, est passé d’une gauche trotskyste à une droite extrême antisémite.

L’idéologie totalitaire dissocie le ressentit de la pensée afin de réduire la capacité des adeptes à évaluer une situation. Le discours idéologique évolue tout au long du processus d’endoctrinement, de séduisant dans un premier temps pour attirer la nouvelle recrue à persuasif, dans un second, pour terminer le processus.

La persuasion coercitive ou le lavage de cerveau sont utilisés pour isoler les adeptes et les contrôler à travers la combinaison, amour-peur. Ce processus conduit les membres du groupe à suivre des ordres menaçant leurs propres intérêts et parfois même leur vie. L’isolement, l’affaiblissement et l’influence font partie du processus. C’est à cette fin que les adeptes sont privés de sommeil, de leurs relations, d’intimité, d’alimentation…
Les ressources du groupe proviennent des adeptes et arrivent aux dirigeants sous forme d’argent, de divers biens matériels, de travail, de faveurs sexuelles et d’obéissance absolue. Elles donnent au leader le pouvoir, le moyen de contrôler les disciples. Actuellement,
les sacrifices au nom de l’Etat islamique illustrent dramatiquement ce contrôle absolu.

Dans les groupes terroristes, la plupart des fidèles ont rejoint l’organisation par accident ; ils cheminaient vers d’autres objectifs, comme l’aide humanitaire.
Le phénomène est identique pour les groupes sectaires. Il y a des « demandeurs », ceux qui veulent rejoindre une « cause » (et non une secte) et les « recruteurs ». Dans le cas de recherche de croissance personnelle, c’est la tendance à se conformer aux normes du groupe, et donc à obéir, qui est exploitée. Le processus qui tend à retenir les disciples dans les groupes sectaires et extrémistes s’appuie sur la théorie de l’attachement, étroitement liée à la théorie du traumatisme, c’est-à-dire la recherche d’un refuge, d’une forme de protection contre la menace et l’optimisation des chances de survie. Ce comportement est à la base de certaines relations fusionnelles où l’un dépend absolument de l’autre.
Les situations deviennent plus complexes lorsque celui qui est censé protéger – le leader et la structure – devient une menace. Cela provoque des dissociations et des désorientations chez le « protégé ». La victime subit un traumatisme qui l’empêche de penser raisonnablement. Ce processus est identique dans les cas de violence domestique, d’abus d’enfant ou dans le syndrome de Stockholm. La menace peut être la peur du monde extérieur, l’affaiblissement
physique et psychologique, l’apocalypse, un dieu courroucé… Pris dans son angoisse, l’adepte
va trouver refuge dans le groupe, même si c’est lui qui est à l’origine du sentiment anxiogène.
En alternant continuellement le sentiment de peur et la recherche de réconfort, l’adepte ne fonctionne plus que sur un mode émotif et physiologique. Sa capacité à penser et à raisonner est annihilée, il est prêt à intégrer l’idéologie du groupe et ses pratiques.
Un ancien adepte a confié à Alexandra Stein qu’il s’était préparé à mourir pour son gourou.
Après avoir fait rompre les liens avec l’extérieur, les sectes interfèrent systématiquement dans les relations intimes des disciples afin qu’ils ne puissent pas trouver de réconfort dans une telle relation.

Enseigner la pensée critique ne suffit pas à empêcher l’endoctrinement. Il faut que les jeunes apprennent à reconnaître les méthodes spécifiques employées par les groupes sectaires, à distinguer une relation saine d’une relation dangereuse qui entraîne l’isolement affectif et cognitif. Pour cela, il y a urgence à lancer des campagnes de prévention dans les universités,
les écoles, les communautés et les programmes de formation. Tant que le grand public restera ignorant, il demeurera vulnérable

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(Source : Fair Observer, Alexandra Stein, 21.07.2015)